Cet été, notre chroniqueur a fait un marathon au plus grand événement culturel et musical de la Mauricie, le FestiVoix de Trois-Rivières. Chaque jour, il est allé voir au moins trois formations musicales pour un total de 35 en 9 jours. Voici un résumé de son expérience en tant que festivalier.
1er juillet
À la scène du Trou du Diable, j’ai eu la chance de découvrir Catherine Durand qui fait de la musique depuis 24 ans et qui a déjà 7 albums, mais c’était sa première présence au FestiVoix. Normalement, je ne suis pas le public cible pour de la musique douce ou ambiante. Mais là, j’ai été conquis, peut-être envoûté, par les harmonies et le chant de cette artiste très talentueuse. Elle était accompagnée d’un guitariste multidisciplinaire avec de nombreux instruments de musique. Pour ce duo, plus de huit guitares étaient sur scène, ainsi qu’un piano, permettant de créer des univers souvent profonds et parfois mystiques. En effet, ça me faisait quelques fois penser à des chants grégoriens, au-delà des paroles, quand le texte disparaît dans l’enchaînement et la maîtrise des mélodies musicales et vocales. Bref, j’ai vraiment adoré, c’est l’une de mes belles découvertes.
2 juillet
J’ai débuté avec un nom inconnu, et ça été aussi une agréable découverte. La rockeuse Vanwho était vraiment incroyable, très à l’aise sur scène… comme en dehors, notamment lorsqu’elle est allée danser dans le public pendant une chanson, jusqu’en arrière du parterre. La jeune artiste rock fait de la musique depuis 14 ans déjà et c’était aussi sa première fois au FestiVoix, accompagnée d’une drummeuse et de garçons à la basse, aux guitares et au piano. Le quintet était en feu et a offert une prestation énergique et à saveur cosmique qui a su ravir toutes les personnes présentes devant la vieille prison. Extrait vidéo : https://youtu.be/GiN-KgXY9BQ
6 juillet
La musique de Stephen Faulkner (né en 1954) est un mélange de l’attitude authentique de Plume Latraverse et la voix usée de Claude Dubois. Avec ses 45 ans de carrière et ses bottes de cowboys, il a une dextérité impressionnante à la guitare six cordes. Il a d’ailleurs composé une chanson avec Plume et plus d’une trentaine après avoir cessé de jouer avec lui. Outre quelques pépins techniques au début du concert, c’était un spectacle bien assumé : une mélodie entraînante et un rythme contagieux sur un tempo vigoureux. Seul avec sa guitare et sa voix grave et réconfortante, et quelques grimaces en bonus, il offre un franc folk blues francophone avec beaucoup d’humour, tant à propos de sa musique qu’à propos de lui-même. Ami de Paul Daraîche, avec qui il a hâte de fumer un joint, Faulkner a présenté une reprise de Jean-Pierre Ferland avec la pièce « Roll Over Beethoven » de Chuck Berry, mais avec un texte en québécois : « le diable est aux vaches ». Le public averti connaissait son œuvre par cœur ou embarquait rapidement avec joie. L’artiste a dénoncé l’hypersensibilité de la société actuelle et le concept d’appropriation culturelle, comme si seulement les personnes afro-américaines pouvaient jouer du blues!
C’était un premier concert à Trois-Rivières pour cette formation de musique électronique ambiant et engagée ouvertement. Calamine est un groupe qui se réclame du mouvement woke et « rebelle contre le 1% ». Ce quatuor rap de Montréal est composé de chant, saxophones, claviers et guitare/basse ainsi qu’une boîte à rythmes (drum électronique), tous habillés aux couleurs pastel (en écho ou en résonance à l’image des couleurs de cette scène du festival d’ailleurs). L’ambiance était hyper relaxe, dans un style lounge. Le groove était très intéressant et les propos politiques aussi, j’ai beaucoup aimé la rime avec Alain Deneault, mais c’était trop doux musicalement pour moi. En fait, les modifications électroniques de la voix, ce n’est vraiment pas à mon goût. Mention spéciale à la pièce végane « Je ne mange pas ça des cadavres ». L’artiste a aussi donné un soutien inconditionnel aux grévistes de la SQDC et revendique le terme de « butch » pour critiquer ceux qui veulent catégoriser ou étiqueter les femmes. Enfin, la chanteuse Julie Gagnon a précisé être plutôt fière d’être lesbienne : elle ne peut pas tomber enceinte…
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7 juillet
Je suis d’abord allé voir le phénomène « P’tit Belliveau », parce que son nom revient souvent dans les conversations dans les podcasts de Mike Ward, un quintette très festif de la Nouvelle-Écosse qui m’était inconnu. Honnêtement : ça groovait solide, un mélange de folk, de surf rock sur l’adrénaline et un soupçon de musique métal. Le groupe est composé de banjo, guitares, mandoline, batterie, claviers et violon trad. Habillés tous en culottes courtes et en jersey sportif de différentes couleurs, les musiciens sont habiles et changent souvent d’instruments. Disons-le, il s’agit d’un groupe non-conventionnel : le drummeur utilise judicieusement une pédale-double (double base drum), ils ont d’ailleurs fait une reprise inusitée et convaincante de Papa Roach, la pièce « Last Resort ». À cause de l’accent Acadien, je ne pourrais pas dire si c’était des pièces parfois bilingues ou en franglais, chose sure, le français dominait. Un public de connaisseurs était non seulement au rendez-vous, mais présents debout devant la scène à chanter la plupart des chansons. La place de la Vieille prison était pleine à craquer comme jamais pendant cette édition, sauf peut-être à Marc Déry (où tout le monde étaient assis par terre en écoutant religieusement). Le groupe a eu visiblement beaucoup de plaisir à jouer à Trois-Rivières. Disons que le party a pogné assez fort: il y a eu quelques petits « thrash » d’adeptes devant la scène. La vieille prison a certainement tremblé pour son bicentenaire. Après leurs 75 minutes règlementaires, P’tit Belliveau ont eu l’autorisation de faire deux pièces supplémentaires de leur cru. À mon grand étonnement, la foule savait presque toutes les paroles. Tout le monde est resté jusqu’à la toute fin du spectacle, j’ai vu un public comblé. Extrait vidéo : https://youtu.be/ttNv8X-zAZ4
Pour finir la journée du 7 juillet, parce que je n’étais pas attiré par la tête d’affiche, j’ai dû quitter le spectacle de France D’Amours pour aller entendre une artiste en même temps, pendant trente minutes sur une scène éphémère près du fleuve et de la scène du Quai, en face du café Frida. Je voulais absolument revoir la jeune pianiste-chanteuse Andy Saint-Louis, une montréalaise qui fait des vidéos sur Internet avec beaucoup d’humour depuis deux ans (elle était d’ailleurs en prestation dans son « look confinement ») et des bonnes mélodies, mais que j’ai connu très récemment. En effet, elle était l’excellente animatrice de la 80e Fête nationale régionale à Grand-Mère pour le spectacle d’Offenbach. Armée de son piano au bord du fleuve Saint-Laurent, et dans un espace de relaxation très accueillant ouvert au grand public, elle a fait pendant trente minutes (j’en aurais pris davantage) quelques-unes de ses compositions et enchaînait les demandes spéciales en direct de la part du public (le Roi lion, Diane Dufresne, ACDC, la pièce Coton ouaté). Elle est notamment reconnue pour ses chansons sur sa vie : chercher un appartement, déménager, la COVID, la Saint-Jean-Baptiste, etc. C’était une performance trop courte mais assurément divertissante et captivante. Sa joie est contagieuse en plus de son envoutant groove musical. L’humour était fortement au rendez-vous et la foule s’est amassée de plus en plus pour l’entendre. L’artiste est également présente sur Twitch, avec des concerts trois fois par semaine, sous le nom de « Andy the Frenchie ». C’est clairement une artiste-musicienne à suivre!
8 juillet
Jérôme 50 se décrit lui-même comme « une sommité dans le monde de la drogue », qui est d’ailleurs le sujet de plusieurs de ses chansons avec d’autres thèmes comme le sexe, l’alcool et des tounes de camps de vacances typiques de notre enfance : plusieurs pièces à répondre dont une montée sur « 3 p’tit chats » et une autre sur l’air de l’alphabet. La majorité de la foule était là pour lui et le connaissait déjà, contrairement à moi, néophyte complet. En fait, je l’ai connu récemment par la pièce « Tokébakicitte » que j’ai entendu lors du spectacle télévisé de la Fête nationale. Le guitariste-chanteur était accompagné d’un solide quatuor (Ficelle à la guitare, Limonade à la basse, Poussière aux claviers, Sushi au drum) qui nous a offert un rock francophone rempli de groove et très planant, à la limite du psychédélique à cause des guitares et des effets. Chansons à répondre et micro ouvert pour les moins de 12 ans dans le public, notamment pour un discours politique ou pour témoigner de leur amour du Québec. Enfin un artiste d’ici qui affiche son nationalisme! Il a d’ailleurs invité son public à visiter le Québec avant le monde, de connaître l’Abitibi avant l’Italie. Groupe sérieux avec une bonne dose d’humour, ils ont fait une parodie de Kaïn, de Mario Pelchat et de Macaroni tout garni. Avec sa casquette Labatt 50, ses bas blancs et sa moustache, l’artiste n’a pas peur du ridicule. Jérôme 50 (pour Labatt 50, bière unique que le groupe boit) a fait monter sept enfants sur scène pour se faire une chorale. Pendant une heure, il livre un rock très festif, ultra simple mais efficace, avec des slogans comme « ToFestiVoixicitte » ou « TaTrois-Rivièresicitte ». En résumé, c’était une prestation pour toute la famille. Après son rappel, l’artiste a terminé son concert en criant : « Vive la jeunesse québécoise! » Honnêtement, c’est surement le genre de groupe festif que je voudrais bien inviter à mon party de mariage…
8 juillet
Verlene est un groupe de rock francophone dirigé par une chanteuse-guitariste avec un trio en feu, dont le batteur Phil Coulombe (Jardin mécanique). C’est une sorte de rock ambiant, plutôt tranquille, mais avec des belles nuances. Outre sa très belle voix, avec un timbre style Laurence Jalbert et des envolées vocales à la Jorane, l’artiste est aussi pianiste, nous installant dans un univers à la Alanis Morissette. Professeure de français, elle a invité cinq musiciens de sa classe de secondaire 4 qui lui ont permis de se raccrocher à son métier. C’était même un de ses élèves aux commandes du drone sur cette scène. L’autrice-compositrice-interprète possède une magnifique voix et des musiciens au service de ses paroles et de la mélodie, favorisant des ambiances bien profondes et surtout diversifiées. Elle n’a pas fait de rappel mais a offert un concert de 70 minutes.
9 juillet
J’ai débuté la journée avec un concert de la série lyrique, soit l’ensemble trifluvien a capella Vocalys (fondé en 1998) composé de 8 voix masculines, 7 voix féminines et du chef de chœur, Raymond Perrin, qui faisait aussi le piano pour la première partie du spectacle qui a duré presque 90 minutes avec le rappel. Le chœur est déjà connu partout dans le monde et a chanté avec Helmut Lotti. Les pièces n’étaient pas dans l’ordre chronologique mais j’ai beaucoup aimé les pièces des Beatles, de Janequin sur la victoire du roi François 1er, les madrigaux de la Renaissance, les pièces de compositeurs islandais et britannique, et un thème sur une recette de chili con carne! Surveillez leur saison régulière dès cet automne pour ne rien manquer…
10 juillet
Natasha Kanapé Fontaine (née en 1991) était très heureuse de pouvoir raconter ses textes dans ce festival, affirmant que c’était « un privilège, un honneur ». La poétesse autochtone innue veut faire découvrir sa culture par sa langue mais aussi par le français, et au moins un texte en anglais, grâce à une voix enchanteresse presque chuchotée à nos oreilles. Elle nous a parlé du territoire, de l’eau, du soleil, des montagnes, des forêts, de la pluie, des nuages, des animaux, du temps et de l’amour. Le spectacle était dédié à Joyce Echaquan et elle a fait un clin d’œil au « Nitaskinan », le pays revendiqué par les Atikamekws. L’artiste était accompagnée d’un guitariste-pianiste talentueux et professionnel, prénommé Manuel. Les airs musicaux étaient enveloppants, simples et méditatifs. Son œuvre ouvre la porte à la réconciliation, au renouvellement de la mémoire collective et du partage du territoire. Des poèmes musicaux pour se réapproprier son territoire et nous partager la richesse des cultures autochtones ancestrales. Le tambour était aussi présent, tantôt frappé par la poétesse et/ou par le pied du guitariste. Ce concert cérémonial au sens d’une atmosphère sérieuse mais sereine dégageait un horizon à la rencontre de l’humanité et de la nature. Ses mots savent captiver et décrire la relation sacrée entre le vivant et la biosphère. Avec la nature, nous sommes un, unis dans l’équilibre de la vie et la fusion de notre être avec les éléments. Selon elle, la poésie est un véhicule pour que l’esprit puisse voyager. La poésie a le pouvoir d’évoquer pour faire réfléchir à ce qu’il reste à faire pour rapprocher nos peuples. Elle a aussi parlé de la venue du pape qui crée de la division dans les communautés autochtones du Canada. Les yeux fermés, le duo nous a guidé vers l’espérance. C’était profond, réconfortant et transcendant. L’artiste complète ses mots par des gestes et des mouvements corporels comme si la danse adoucissait le sens des paroles. Son sourire était contagieux et son rire familier. Sa poésie rayonne sur la scène internationale et elle nous a parlé de sa passion pour l’artiste canadienne Rebecca Belmore qui a ouvert plusieurs portes pour la culture et l’art autochtones. J’ai beaucoup apprécié ce spectacle de 75 minutes incluant le rappel.