Jean-François Veilleux – mai 2020 Depuis mai 2003 se tient la Journée nationale des patriotes, instaurée par le premier ministre Bernard Landry le 22 novembre 2002. Après avoir dressé dans ces pages, en mai 2017[1], un portrait global sur ces événements insurrectionnels, arrêtons-nous maintenant sur le rôle des femmes patriotes.

Les pionnières

Plutôt nombreuses sont les figures historiques féminines qui jalonnent l’histoire nationale du Québec. Lorsqu’on pense à la Nouvelle-France, les exemples pullulent : Marie Rollet (1580-1649), la femme et l’assistante de l’apothicaire et premier colon Louis Hébert; Jeanne Mance (1606-1673), co-fondatrice de Montréal et de l’Hôtel-Dieu, l’un des premiers hôpitaux en Amérique du Nord et le deuxième de Nouvelle-France; Marguerite Bourgeoys (1620-1700), la première enseignante de Montréal et fondatrice de la première communauté religieuse féminine non cloîtrée en Amérique du Nord; Madeleine de Verchères (1678-1747) qui défend le fort courageusement; Marie de l’Incarnation (1599-1672), qui fonda le premier couvent d’enseignement féminin en Amérique, ainsi qu’environ 764 Filles du Roy venues de 1663 à 1673.

Des femmes engagées

Lorsqu’on pense à la « révolution canadienne » de 1837 et 1838, on a tendance à oublier celles qui ont participé de près ou de loin à l’organisation civile du Parti patriote. Même si les femmes n’ont pas occupé une place centrale dans les organisations patriotes ou les instances politiques, elles ont été nombreuses à répondre à l’appel du patriotisme. Dès 1833, des femmes dont Julie Bruneau, l’épouse de Louis-Joseph Papineau, fondent le « Club des femmes patriotes » et se réunissent sur la rue Bonsecours à Montréal. Elles favorisent l’éducation populaire par des lectures publiques des journaux et font signer des pétitions. En août 1837, des dames patriotiques des comtés de Deux-Montagnes, de Verchères et de Richelieu fondent leurs propres associations. Parmi elles, Marie-Louise Félix, Émilie Berthelot et Marie-Louise-Zéphirine Labrie (l’épouse du docteur Jean-Olivier Chénier) sont les instigatrices du drapeau dit de Saint-Eustache : une bannière traversée d’une branche d’érable, portant une couronne de cônes et de feuilles de pin de couleur bleue, entourant un maskinongé (poisson du lac des Deux-Montagnes) avec les lettres C (pour Canada) et J.-Bte (pour Jean-Baptiste). De semblables rassemblements patriotiques féminins ont aussi lieu à Contrecœur, Saint-Benoît et Saint-Denis. Participant pleinement à la campagne des Patriotes contre l’importation de produits britanniques, afin d’éviter de consommer des produits textiles importés, elles s’occupent de confectionner des habillements en « étoffes du pays » à partir de coton brut états-unien. Seigneuresses et bourgeoises vont également jusqu’à porter des bottines d’étoffes canadiennes.

Femmes patriotes (1837-38). Photos tirées d’un jeu de cartes d’une boutique souvenir.

Quelques autres femmes vont prendre une part active aux assemblées publiques, afin de soutenir l’action des députés du Parti patriote et pour dénoncer les mauvaises décisions des représentants de la couronne anglaise. Pendant les moments héroïques, tandis que certaines aident à fondre des balles de fusil et à fabriquer des cartouches de poudre, d’autres femmes abritent des fugitifs et soignent des blessés. De plus, il y a des femmes comme Émilie Boileau-Kimber qui, en plus d’organiser des assemblées clandestines à Chambly et d’être l’une des femmes les plus actives de sa région, ne craint pas de porter les armes. Enfin, deux journaux ont rapporté l’anecdote incroyable du marchand Louis Pagé, de Saint-Denis, qui s’est fait couvrir la poitrine par sa 2e femme, Appoline Létourneau, de feuilles de papier épais au matin du 23 novembre 1837. Au cours de la bataille ce jour-là, gagnée par les rangs patriotes, une balle frappa la cuirasse artisanale, s’arrêtant à la quatorzième feuille… sur 15! On dit qu’il ne s’en était pas rendu compte. Dans ses travaux, le socio-historien Allan Greer avait démontré que « l’absence complète et absolue de prisonnières politiques est tout à fait remarquable ». En réalité, l’Église faisait davantage de place aux femmes que l’État ou les partis politiques, patriotes compris. Pourtant, Onil Perrier a récemment découvert le nom de rares femmes qui ont passé quelques mois en prison dont Émilie Berthelot. Néanmoins, peu de femmes furent appelées à comparaître à la barre du Palais de justice lors des divers procès du tribunal militaire, d’après le Report of the State Trials, sauf dans les comtés de Beauharnois et de Napierville. Selon Marcelle Reeves-Morache, il est clair que « les femmes ont collaboré activement à l’insurrection. Elles ont souffert. Elles ont consolé. » En dépit des atrocités commises (des centaines de maisons pillées ou saccagées, les vols de possession et de bétail) et d’un état d’angoisse indescriptible, « chaque fois, la Canadienne est là pour défendre les siens contre l’ennemi, elle ne perd jamais courage. »

Victimes collatérales

Pendant l’insurrection, la sanglante répression par les autorités anglaises, soutenue par les volontaires loyalistes, n’épargnent pas les femmes. Plusieurs sont jetées à la rue avec leurs enfants, en plein hiver, parce qu’on brûle la demeure des prétendus insurgés. D’autres subissent les habituels crimes de guerre, qui laissent assez peu de traces dans les archives judiciaires, sous la forme de sévices physiques y compris les viols : adolescentes, femmes enceintes et récentes accouchées ne sont pas épargnées. On parle aussi de la sœur du pendu Joseph Duquette qui, poursuivie dans les vergers par les soldats, finira sa vie « folle ». En s’appuyant sur le nombre de 12 000 combattants patriotes, Onil Perrier estime entre 10 000 et 15 000 femmes – épouses, mères, fiancées ou filles – touchées par cette tragédie. Outre les veuves des 200 combattants morts bravement pour l’avenir de leur peuple, il faut compter les femmes des bannis du pays et des 66 exilés dans les lointaines colonies pénitencières de l’Angleterre en Australie et aux Bermudes. Ces femmes furent abandonnées à elles-mêmes avec leurs enfants, parfois pendant jusqu’à sept ans, avec la gestion de la ferme familiale ou de la seigneurie. Si à peu près tout le monde se rappelle que 12 patriotes ont été pendus à Montréal, ces exécutions publiques vont directement faire six veuves et 24 orphelins… Consultez les autres chroniques de Jean-François Veilleux  Sources: Alain MESSIER. Dictionnaire encyclopédique et historique des Patriotes 1837-1838 (Guérin, 2002, 597 p.) Allan GREER. Habitants et Patriotes (Éditions Boréal, 1997, p.339) Anne-Marie SICOTTE. Histoire inédite des Patriotes – Un peuple libre en images (Éd. Fides, 2016, 436 p.) Gilles LAPORTE. Brève histoire des Patriotes (Éditions Septentrion, 2015, 361 p.) Jean-François VEILLEUX. Les Patriotes de 1837-38 en Mauricie et au Centre-du-Québec (Éditions du Québécois, 2015, 292 p.) Marcelle REEVES-MORACHE. Les Québécoises de 1837-38 (Éditions Albert Saint-Martin, 1975, 27 p.) Michèle GÉLINAS. Adèle Berthelot-LaFontaine – 1812-1859 (Éditions GID, 2015, 242 p.) Onil PERRIER. Les Québécoises de 1837-1838 (Éditions idg, Les Amis des Patriotes, 2007, 48 p.) [1] Chronique de mai 2017, Jean-François Veilleux, www.gazettemauricie.com/rebellions-de-1837-38-mauricie/

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