Par Julien-Pierre Léveillé, décembre 2016
Idiocratie : Régime politique dont le pouvoir souverain est sous le contrôle d’idiots.
Ça y est. L’improbable est arrivé. La fiction a rattrapé la réalité. Donald Trump a été élu président des États-Unis. La télésérie Les Simpson blaguait sur cette idée il y a plus de 15 ans. Aujourd’hui, c’est du réel. Notre monde est devenu une parodie de lui-même. Comment a-t-on pu en arriver là?! Au cours d’un voyage en Islande en mai dernier, j’ai rencontré des Américains du New Hampshire qui ne comprenaient pas ce qui se passait chez eux. Ils disaient ne connaître personne qui voterait pour Trump. Pour eux, la blague durerait encore quelque temps, puis finirait par s’essouffler. Elle a toutefois continué et s’est empirée. Il a traité les Mexicains de violeurs. Il s’est moqué d’un journaliste handicapé. Il a donné du crédit à certains dictateurs. Il a refusé de se dissocier du Ku Klux Klan. Et j’en passe. Tout ça publiquement, devant micros et caméras. Même un enregistrement où il avoue que son statut de célébrité lui permet de prendre les femmes par le vagin n’aura pas suffi à le disqualifier. Logiquement, toute personne ayant en main un tel curriculum pourrait difficilement se trouver un emploi dans un McDonalds (la pognez-vous?). Trump, lui, a réussi à décrocher le poste le plus puissant de la planète : commandant en chef de l’armée américaine, avec le bouton rouge juste au bout des doigts. Je me demande bien ce que mes amis du New Hampshire pensent de tout ça maintenant.
Au fond, quand on y pense vraiment, Trump représente l’aboutissement d’un mal collectif qui nous afflige depuis des années. Nous pourrions analyser toutes les raisons politiques qui expliquent sa victoire. Je ne m‘y attarderai toutefois pas. Je laisserai plutôt ce travail aux spécialistes de la politique américaine. Par contre, derrière tout ça se cache un cancer. Nous vivons dans un monde de plus en plus artificiel, propulsé par la loi du moindre effort, physique ou intellectuel. Cette maladie a grandi avec diverses téléréalités, où de parfaits inconnus, souvent pas très futés, deviennent des héros nationaux du jour au lendemain. Un abrutissement collectif qui s’est répandu à travers Internet et les réseaux sociaux, où la désinformation coule à flots pour celui prêt à s’abreuver d’ignorance. Le culte du « toute opinion se vaut » a permis de transformer des faits établis en simples théories parmi tant d’autres et a laissé la tribune à des mythomanes en série qui recrutent de plus en plus d’adeptes. On ne se force plus à réfléchir et à comprendre les enjeux. On laisse notre téléphone intelligent penser à notre place. On nourrit notre égo sur Facebook, en devenant de plus en plus nombriliste et déconnecté du monde qui nous entoure. Trump représente le dernier maillon de cette société en déchéance. Il constitue le reflet de notre superficialité, notre ignorance, notre manque d’ouverture et notre égocentrisme.
Ne pensez pas qu’il s’agit seulement d’un phénomène américain. Un peu partout, des candidats douteux tenant des propos orduriers se manifestent. Le meilleur exemple est le nouveau président des Philippines, Rodrigo Duterte. Cette vague nous atteindra un jour ou l’autre (à moins que ce soit déjà le cas). Les gens ne veulent plus des politiciens sérieux et compétents. Désabusés, ils cherchent le divertissement. Ils veulent un show. Un peu partout, la démocratie est fragilisée, affligée par des taux de participation anémiques, des modes de scrutin discutables et un cynisme grandissant. J’ai toujours aimé cette citation de Winston Churchill qui dit que la démocratie est le pire des systèmes, à l’exception de tous les autres. Si la démocratie moderne permet d’élire un dangereux démagogue narcissique, raciste et misogyne, nous sommes en droit de nous questionner sur ce qu’elle est devenue. À moins qu’elle soit déjà morte et remplacée par une idiocratie. Possible… Si c’est le cas, je suis loin de croire que la démocratie est le moins pire des systèmes.