Le projet de création d’une aire protégée à Saint-Mathieu-du-Parc fait naître de nouvelles perspectives sur l’aménagement des terres publiques situées au sud du Parc national de la Mauricie. Le directeur de la Coalition Aire protégée Saint-Mathieu-du-Parc, Éric Proulx, et des bénévoles d’expertises variées œuvrent à concrétiser la vision d’un espace naturel qui allie protection de l’environnement, écotourisme et éducation. Le modèle pourrait devenir un exemple au Québec.
La coalition citoyenne qui a gagné sa lutte pour protéger le parc récréoforestier des coupes forestières au début de l’année entreprend maintenant une démarche ambitieuse. Désormais constituée en organisme sans but lucratif, la Coalition Aire protégée de Saint-Mathieu-du-Parc s’est vue octroyer, fin mai, un financement gouvernemental de 196 000 $. Cette somme provenant de l’initiative Plein aire, servira à réaliser les inventaires du territoire et les démarches pour déposer une proposition d’aire protégée au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.
La mise sous protection du territoire par la création d’une aire protégée n’est qu’une première étape pour Éric Proulx, le directeur général du nouvel organisme. Son équipe de bénévoles et lui nourrissent une vision d’avenir pour ce territoire qui dépasse largement le mandat de conservation.
Redonner le territoire à la communauté
En plus d’abriter des espèces en situation précaire comme la tortue des bois et des forêts anciennes, le secteur visé, qui s’étend sur plus 127 km2, offre aussi un potentiel incontestable pour l’écotourisme, estime Éric Proulx.
« Il s’agit des terres publiques qui sont les plus près de Shawinigan et de Trois-Rivières, souligne-t-il. On aimerait que toute la population puisse y avoir accès, pas seulement quelques privilégiés qui ont des chalets et des camps de chasse sur le bord des lacs. » Celui qui a occupé jadis un poste de chef d’équipe à Vallée-Bras-du-Nord croit que ce territoire a le potentiel de devenir un terrain de jeu et d’éducation pour l’ensemble de la population de la région. « Il y a 300 000 de population ici, est-ce qu’on va garder un territoire enclavé pour les 35 personnes [qui occupent des lots de villégiature] ? », demande-t-il.
Les projets d’écotourisme pour réaliser ce souhait ne manquent pas : développement d’un réseau de sentiers pédestres et de ski de fond, circuits de vélo de montagne et de gravel bike, aires de pique-nique, zones de baignade, hébergement en refuge et camping rustique, entre autres. Le tout selon un modèle qui répartit l’achalandage sur cet immense territoire afin de ne pas perturber les écosystèmes, précise Éric Proulx.
Le loquace directeur explique que contrairement à la croyance populaire, les aires protégées ne sont pas toujours des zones inaccessibles où rien n’est permis. Ce sera, selon lui, bien différent d’un parc national rigide et très réglementé. Le projet qu’imagine ce géographe ressemble plutôt à un « parc-territoire », axé sur la conservation tout en étant habité et géré par la collectivité.
Un tel modèle, qui n’existe pas encore au Québec, s’inspire d’exemples empruntés ici et là. « On veut matérialiser la vision d’un parc idéal, rêvé par des personnes qui ont vu plusieurs parcs et qui connaissent les irritants à éliminer. »
Le concept a d’ailleurs retenu l’attention des chercheuses Isabelle Falardeau et Sylvie Miaux du Département d’études en loisirs, culture et tourisme de l’Université du Québec à Trois-Rivières qui vont suivre les démarches.
Un espace nature de culture et d’éducation
En plus de la conservation et de l’écotourisme, le projet d’ensemble fait une place importante à la culture et à l’éducation. L’organisme veut notamment redonner vie à l’amphithéâtre du parc récréoforestier, érigé en pleine nature, qui deviendrait un lieu central de diffusion culturelle et d’enseignement.
Sur ce plan aussi les idées abondent : spectacles, conférences, classes en plein air, classes nature et partenariats avec les institutions postsecondaires. « On veut faire exploser les cadres, il nous faut être plus créatifs en éducation ! » lance Éric Proulx.
La Coalition Aire protégée de Saint-Mathieu-du-Parc s’est d’ailleurs alliée avec la Coop Nitaskinan pour assurer la gestion de l’amphithéâtre. Un premier spectacle en plein air, organisé par l’espace culturel Onikam, a eu lieu le 25 juin dernier à l’occasion du solstice d’été.
Développer en mode économie sociale
Lors de sa présence à Saint-Mathieu-du-Parc, le ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, Benoit Charette, s’est dit fier de la concertation régionale qui a été réalisée pour la protection du territoire envisagé. La Coalition a en effet récolté, en l’espace de quelques mois, plus d’une cinquantaine d’appuis régionaux, autant auprès des municipalités et des acteurs récréotouristiques que des entreprises et des groupes environnementaux.
Mais au-delà cette concertation, Éric Proulx espère que le projet deviendra aussi un modèle de développement territorial dans lequel l’économie sociale serait privilégiée. « On doit cesser d’opposer économie sociale et projets de développement, dit-il. L’entrepreneuriat collectif va générer des externalités positives pour tous nos villages et nos communautés, plutôt que servir seulement des actionnaires privés. »
L’ambition de ce projet n’a d’égale que la motivation de la Coalition à soustraire cette forêt aux abatteuses. « Si on ne fait pas de projets d’écotourisme et de conservation sur ce territoire, elle sera destinée aux coupes forestières », conclut Éric Proulx.
Avec une superficie équivalente au quart du parc national de la Mauricie, le projet d’aire protégée, s’il voit le jour, deviendrait l’un des plus grands parcs régionaux du Québec.