Stéphanie Dufresne – Environnement – Janvier 2022
Une forêt quasi centenaire comprenant une tourbière est menacée par des coupes forestières prévues à partir du 17 janvier. Une coalition composée de divers organismes utilisateurs du territoire met tout en branle pour assurer sa conservation.
La Coalition pour la préservation du Parc récréoforestier de Saint-Mathieu-du-Parc a récemment demandé l’application d’un moratoire sur les 80 hectares de coupes forestières prévues.
Le secteur visé se trouve à l’intérieur du territoire de Production et aménagement de la ressource collective (P.A.R.C.) récréoforestier de Saint-Mathieu-du-Parc et à proximité du Parc national de la Mauricie. Un projet d’aire protégée sera déposé au ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques.
Pour cette coalition, les coupes planifiées par le ministère des Forêts, de la Faune et des Parcs du Québec menacent l’intégrité écologique et sociale d’un lieu fréquenté par des milliers de visiteurs ainsi que son potentiel de développement récréotouristique. Elles priveraient également la collectivité de « biens et services écosystémiques », soit des bénéfices que la société humaine retire de la nature.
Ce territoire sert aussi de zone tampon entre le Parc national de la Mauricie et les zones habitées, ce qui contribue à réduire les pressions sur ce territoire protégé et riche en biodiversité.
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La valeur d’une forêt préservée
Xavier Francoeur, doctorant en environnement et l’un des porte-parole du groupe, a comparé les revenus reliés aux coupes forestières avec la valeur financière des services qu’apportent la forêt. Le cadre scientifique de la Ville de Québec, qui a récemment réalisé un exercice d’évaluation et d’évolution des services écosystémiques, lui a servi de base.
Selon ses calculs, la superficie de 127 km2 du projet d’aire protégée offre une valeur économique de 45 millions de dollars annuellement en biens et services écosystémiques tels que la production d’oxygène, l’approvisionnement en eau, la fixation du carbone, la protection des sols, la diminution du risque d’inondation et l’amélioration des conditions climatiques locales. De fait, ces coupes pourraient dégrader la qualité de l’eau ainsi que l’intégrité des cours d’eau et des lacs du secteur.
À ce montant s’ajoutent les retombées économiques locales et régionales liées à l’usage du parc par ses milliers de visiteurs.
La valeur du bois coupé, pour l’entreprise forestière Rémabec, serait d’environ 375 000 $, alors que la valeur du carbone (basé sur le prix du marché du carbone) contenu dans les arbres vivants s’élève à 449 500 $. Non seulement la valeur du bois « debout » est supérieure, mais toute la collectivité en retire des bénéfices.
« En coupant la forêt, dit Xavier Francoeur, on investit dans les feux de forêt, les sécheresses, les inondations, dans tout ce que l’on ne veut pas dans le contexte climatique actuel. Si on garde la forêt intacte, on a un actif qui produit de l’intérêt chaque année. »
Perspectives politiques
Selon la Coalition, la protection de ce territoire est une occasion à saisir pour contribuer à plusieurs objectifs gouvernementaux. D’abord, le plan d’aménagement forestier intégré tactique (PAFIT) 2018-2023 soulève la question de la quasi-absence de forêts vieilles de plus de 90 ans dans la région. Or, les zones prévues pour les coupes auraient entre 70 et 80 ans d’âge. « Elles sont à quelques années de devenir des vieilles forêts. Et c’est là que se trouve la majorité de la biodiversité », explique Xavier Francoeur.
La protection des forêts contribue également à l’atteinte de la cible gouvernementale de réduction des émissions de gaz à effets de serre (GES) qui vise une diminution de 37,5 % par rapport au niveau de 1990. La croissance annuelle de la forêt sur le territoire à protéger permettrait de capter 14 000 tonnes de CO2 par an. Au contraire, la couper équivaudrait à relâcher 4 500 tonnes de CO2 dans l’atmosphère.
Enfin, la Coalition rappelle que le gouvernement du Québec s’est engagé à protéger 30 % de son territoire sous forme d’aires protégées d’ici 2030 et que la Mauricie n’en est présentement qu’à 3,8 %.
Le parc récréoforestier de Saint-Mathieu-du-Parc comprend un réseau de 40 km de sentiers de randonnée, 15 km de sentiers de vélo de montagne, l’une des plus importantes parois d’escalade de la région, des abris pour camper et un amphithéâtre au cœur de la nature.
Ce parc a été créé dans les années 1990 par des citoyens et acteurs du milieu, comme un projet de forêt habitée au bénéfice de la communauté. « Cette façon d’habiter le territoire et de le développer de façon communautaire, par consensus territorial, c’est rare au Québec », explique Éric Proulx, citoyen impliqué dans la Coalition. « Pour la communauté, cela donne un sens à la vie, un ancrage communautaire. La mobilisation actuelle regroupe en Mauricie des gens qui ont à cœur le développement local à l’intérieur de projets collectifs. »
Une pétition circule et sera été déposée à l’Assemblée Nationale. La Coalition reçoit de nombreux appuis, dont celui des municipalités de Saint-Mathieu-du-Parc et de Shawinigan. Elle anticipe une forte pression populaire si la demande de moratoire est refusée. À ce titre, des activités visant à occuper le territoire sont planifiées. Des sentiers ont notamment été balisés à l’intérieur de la zone destinée à la coupe, afin d’encourager les citoyens à fréquenter les lieux.
« La coupe va détruire le secteur pour 50-60 ans. Un moratoire sur cette zone, c’est négligeable pour l’industrie forestière, mais pour notre communauté ça a une très grande importance », affirme Xavier Francoeur.