Jean-Claude Landry, mai 2019
Le Québec est un pays de grands espaces, parsemé de lacs et doté d’un couvert forestier immense. La Mauricie n’est pas en reste. Historiquement, le milieu forestier a été essentiellement perçu comme fournisseur de bois, générateur d’emplois et créateur de richesse. Voilà qu’aujourd’hui, inspirés peut-être de la sagesse des Premières Nations, on découvre à quel point la forêt constitue une richesse en soi, un bien collectif précieux pour la gestion durable duquel des citoyens et des organisations sont montés au front.
Aiguillé par les multiples alertes et les mobilisations citoyennes dénonçant une gestion déficiente de la forêt québécoise et aux prises avec une opinion publique de plus en plus préoccupée par l’avenir de ce patrimoine collectif, le gouvernement du Québec confiait en 2003 à la Commission Coulombe le mandat d’examiner la gestion de la forêt publique québécoise.
Le verdict de la Commission fut sans appel : la forêt québécoise était surexploitée. Il fallait donc revoir profondément son mode de gestion et faire de la protection des écosystèmes la pierre d’assise des régimes forestiers à venir. La Commission proposait également la création d’un poste de « Forestier en chef » dont le titulaire devait assurer une exploitation de la forêt qui permette sa régénération. Dans la même veine, l’Assemblée nationale adoptait en 2010 la Loi sur l’aménagement durable du territoire forestier visant un aménagement écosystémique des territoires forestiers afin d’assurer la pérennité de la forêt.
Avec l’adoption de cette loi, « les espoirs étaient grands » affirmait dans une récente lettre au Devoir, l’ancien Forestier en chef Gérard Szaraz, mais poursuivait-il « le nouveau régime forestier demeure aujourd’hui une oeuvre inachevée ». Un constat préoccupant venant d’une personne qui fut en quelque sorte le « gardien de la forêt québécoise » de 2010 à 2015.
Interrogé par La Gazette de la Mauricie au sujet de cette sortie publique, M. Szaraz nous a dit observer un fossé important entre les objectifs inscrits dans le plus récent régime forestier et ce qui se passe sur le terrain. Selon lui, l’aménagement écosystémique, la gestion intégrée de la forêt et la participation des régions sont des intentions louables, mais elles passent encore au second rang face aux besoins de l’industrie forestière. Cela aux dépens d’enjeux majeurs comme l’harmonisation des divers usages de la forêt, le développement du réseau des aires protégées et le consentement des communautés autochtones.
L’abolition des conférences régionales des élus (CRÉ) en 2015 aura contribué à affaiblir le poids des régions dans la gestion de la forêt, soutient M. Szaraz. Faut-il rappeler que les CRÉ avaient pour mandat de produire et d’appliquer les plans régionaux de développement intégré des ressources de leur territoire respectif. Ces plans devaient prendre en compte les intérêts de l’ensemble des acteurs régionaux concernés par l’aménagement forestier sur le territoire public.
Il est donc prématuré de statuer sur les progrès du régime, affirme l’ex-Forestier en chef, puisque la logique de la gestion en silo perdure, ce qui favorise la polarisation des positions entre les multiples acteurs de la forêt à la faveur d’un rapport de force inégal.
Pour Gérard Szaraz, l’avenir de la forêt québécoise passe par l’adoption d’une nouvelle d’approche de gestion consistant à délaisser l’approche actuelle de développement sectoriel pour une approche de développement territorial. Le développement sectoriel, tel que celui du bois, vise à favoriser un élément (le bois) et à considérer les autres comme étant des contraintes dont les impacts sont à atténuer, précise-t-il. Le développement territorial présente quant à lui l’important avantage de considérer la forêt comme un tout, qu’il s’agisse des ressources (bois, faune, produits non ligneux, paysages, etc.) ou des services écosystémiques (régénération forestière, biodiversité, conservation des sols et de l’eau, cycle du carbone, valeurs culturelles, etc.).
Et surtout, conclut Gérard Szaraz, il ne faut pas perdre de vue que la forêt, c’est plus qu’une source d’approvisionnement en bois pour l’industrie de transformation.