La Commission de l’éthique en science et en technologie (CEST) s’attaque aux impacts environnementaux des technologies numériques (TN) dans un rapport qui remet en question leur prétendue durabilité. En 2019, 53,6 millions de tonnes de déchets électroniques ont été produites mondialement, mais seulement 17,4 % ont été recyclées, le reste polluant des décharges en Afrique et en Asie. La CEST appelle à placer la sobriété numérique au centre des actions collectives. La Gazette s’est entretenue avec Léon Gatien, l’un des co-rédacteur de ce rapport, afin de comprendre et de mettre en lumière les grandes lignes de ce document.
La Commission de l’éthique en science et en technologie détient un double mandat. D’une part, elle a pour mission d’informer et de conseiller le gouvernement du Québec sur des questions d’éthique appliquée, par exemple dans les domaines de la bioéthique, de l’intelligence artificielle ou encore de l’éthique de l’environnement. D’autre part, elle travaille à sensibiliser la population à l’égard de ces mêmes questions.
Ce conseil scientifique se compose de 13 membres, qui possèdent des expertises en éthique et qui sont issu-es des milieux de la recherche universitaire et industrielle. À sa présidence, on retrouve Luc Bégin, professeur titulaire au département de philosophie de l’Université Laval depuis 1999 et directeur de la revue Éthique publique – revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale. Une professeure de l’UQTR y siège également : Naïma Hamrouni, professeure au département de philosophie et des arts.
Le rapport Regard éthique sur les effets environnementaux des technologies numériques au Québec : l’impératif de la sobriété numérique a été produit par le secrétariat général de la CEST. Ce rapport d’une centaine de pages a été corédigé par Nicolas Bernier, rédacteur principal de ce rapport, secrétaire général par intérim de la CEST et chargé de cours en éthique appliquée à l’Université de Sherbrooke, et Léon Gatien, membre du Centre de recherche en éthique et étudiant aux cycles supérieurs à l’UQTR.
Ce document met en évidence les enjeux éthiques liés aux impacts environnementaux des technologies numériques, notamment en nuançant l’association entre les bienfaits des TN et leurs répercussions sur l’environnement. Il propose des principes pour guider la réflexion et l’action collective, en plaçant la sobriété numérique au centre de la démarche.
Drapeau rouge
Concrètement, les TN sont les technologies de l’information et de la communication. Ce sont des outils, des systèmes et des dispositifs qui utilisent des données numériques pour traiter, transmettre ou stocker de l’information, comme les ordinateurs, les logiciels, les réseaux et les appareils connectés. Dans la croyance populaire, ces TN sont souvent perçues comme une solution clé dans la lutte contre les changements climatiques. En effet, on semble penser que celles-ci ont peu d’impact écologique. Toutefois, la réalité n’est pas complètement en adéquation avec cette croyance.
« Un aspect du discours ambiant qui était très présent du début du projet jusqu’à la fin de sa réalisation, c’est le grand ‟technosolutionnismeˮ, c’est-à-dire cette perspective selon laquelle tout problème humain aurait une solution technologique. Donc, de façon moins caricaturale, les solutions technologiques seraient à prioriser pour régler des problèmes humains comme la dégradation de l’environnement. Alors qu’en réalité ces problèmes-là sont dus à nos modes de production et de consommation. Et c’est à cela qu’il faut s’attaquer », explique Léon Gatien.
Plusieurs statistiques concernant les effets concrets des TN figurent dès les premières pages du rapport. Par exemple, 5 % de la consommation mondiale d’électricité seraient absorbés par la fabrication et l’utilisation des appareils ainsi que par « les infrastructures du numérique ».
De plus, bien souvent, les calculs entourant les conséquences de l’usage de ces nouvelles technologies sur l’environnement ne prennent pas en compte l’ensemble des variables. Selon le rapport, ces calculs « se résument à la réduction de la consommation énergétique ou de ressources matérielles durant la phase d’utilisation, en délaissant l’analyse du cycle de vie complet de ces technologies ». Il ne s’agit donc pas d’une vue d’ensemble et, dans certains cas, les gains d’énergie ne dépassent pas ceux produits par la fabrication ou le fonctionnement global. Les auteurs citent notamment l’exemple du télétravail, qui nécessite parfois d’acheter en double l’équipement technologique. Ainsi, les bénéfices occasionnés par la réduction du transport sont plus difficiles à mesurer.
La sobriété numérique comme solution
La sobriété numérique implique d’abord un changement dans le modèle de pensée actuel, qui s’inscrit à la fois dans l’individu et dans la collectivité. Il s’agit donc d’une responsabilité partagée par les décideurs publics, le secteur des TN et par la population. Léon Gatien ajoute : « On a essayé de mettre l’accent là-dessus dans le rapport, il faut s’assurer qu’il y ait des actions qui s’attaquent aux causes structurelles de la situation dans laquelle on est. Donc, ça veut dire repenser complètement les logiques qui animent présentement le déploiement des TN. »
Ainsi, la solution proposée par ce groupe d’experts est de revoir entièrement nos schèmes de pensée ancrés dans une logique marchande. Cette prise de conscience permettra sans doute de reconcevoir notre façon de consommer. Au lieu de concevoir la consommation en termes de productivité et de désir, il faut l’assujettir aux besoins réels.
Par où commencer ?
Plusieurs organisations offrent des pistes de solutions à mettre en place de façon individuelle. Par exemple, l’UQAM propose un arbre décisionnel et invite le citoyen à se poser des questions telles que : « pouvez-vous supprimer le document plutôt que l’entreposer ? », « pouvez-vous éviter l’envoi de courriels ? » ou encore « avez-vous déjà un appareil informatique qui pourrait répondre à vos besoins ?
L’Association québécoise des organismes de coopération internationale propose également une courte fiche intitulée Sobriété numérique et bonnes pratiques. Par exemple, elle invite à diminuer le visionnement de vidéos, à fermer sa caméra lors de vidéoconférence ou en prenant soin de sa santé en évitant l’hyperconnexion.