Jean-François Veilleux – Histoire – mars 2021 La volonté du gouvernement de François Legault de consolider bientôt la politique linguistique du Québec nous amène à revenir sur les origines de la loi 101 et l’intention des législateurs qui l’ont adoptée.
Un nouvel espoir
Le 15 novembre 1976, René Lévesque et le parti qu’il a fondé en 1968, le Parti québécois (PQ), deviennent le premier gouvernement indépendantiste dans l’histoire du Québec. L’une des premières actions du PQ est de résoudre l’insatisfaction liée aux politiques linguistiques qui planent depuis au moins une décennie. Malgré l’élan d’enthousiasme de la Révolution tranquille pour l’émancipation et le développement de la société québécoise, on attendait toujours une politique viable pour assurer l’avenir des francophones au Québec. Dans les années 1960, la commission Laurendeau-Dunton (1963-1971) avait bien démontré que le francophone du Québec était devenu, d’après l’expression du chanteur Félix Leclerc, « un fils dépouillé / comme le fut son père / porteur d’eau, scieur de bois / locataire et chômeur / dans son propre pays ». L’Union nationale dirigée par Jean-Jacques Bertrand avait tenté d’éteindre le feu provoqué par la « guerre linguistique » à Saint-Léonard, avec le bill 63 (novembre 1969). Personne n’était satisfait du libre choix donné aux parents pour la langue d’enseignement. Mise sur pied par Bertrand, la commission Gendron (1973) révéle que le français est menacé au Québec et recommande d’en faire une « langue commune ». Cela mène le Parti Libéral du Québec de Robert Bourassa à adopter la loi 22 (juillet 1974) qui fait du français la langue officielle du Québec, renforce l’Office de la langue française (créé en 1961) et adopte des dispositions sur la langue de travail tout en restreignant l’accès à l’école anglaise en fonction de tests linguistiques. Mais l’imposition de ces tests linguistiques sera contestée à peu près par tout le monde.
Un mandat lourd de sens
Le 26 novembre 1976, Camille Laurin devient le ministre responsable du développement culturel. À ce titre, il va orienter et coordonner les activités du ministère de l’Éducation, des Affaires culturelles, des Communications, de l’Immigration ainsi que du ministère des Sports et Loisirs. En plus d’être docteur, Laurin est député du PQ de 1970 à 1973 et a exercé la fonction de leader parlementaire en attendant l’élection du chef à l’Assemblée nationale sous la bannière du PQ. Il reçoit le mandat de remanier la loi 22, qui n’était pas contraignante sauf en éducation, sans effets coercitifs. Son intention est de faire du Québec un État aussi français que l’Ontario est une province anglaise. Cet engagement solennel est connu depuis l’élection de 1973 et constamment rappelé par toutes les résolutions adoptées en ce sens au congrès du PQ à l’automne 1974. La loi 101 est considérée comme une « révolution linguistique » : l’unilinguisme français sera la règle en matière d’affichage commercial et public et les entreprises québécoises devront obligatoirement, et non plus sur une base volontaire, adopter un programme de francisation pour leurs communications internes et externes. Les enfants issus de l’immigration auront l’obligation de fréquenter l’école française jusqu’à la fin du secondaire. Le préambule donne le ton : « Langue distinctive d’un peuple majoritairement francophone, la langue française permet au peuple québécois d’exprimer son identité. L’Assemblée nationale reconnaît la volonté des Québécois d’assurer la qualité et le rayonnement de la langue française. » Cette loi permettait que l’identité francophone du Québec ne soit pas remise en cause par l’immigration. En tant que psychiatre, il comprenait bien que c’était une affaire de psychologie : « manquant d’estime de soi, manquant de confiance en soi en raison d’une langue qui était dévalorisée, méprisée, on ne pouvait surmonter ces entraves au développement que par une sorte de loi, une sorte de charte qui amènerait les Québécois non seulement à pouvoir vivre dans leur langue, mais à se développer dans leur langue : la langue d’un pays. » L’objectif de la loi 101 était de mettre le français au pouvoir, d’en faire la langue commune, la langue officielle de l’État dans tous les secteurs (communication, travail, culture, économie, commerce, affichage, santé, justice, éducation) puis d’en faire la langue normale d’accueil des immigrants, dans une volonté claire d’obtenir une intégration linguistique réelle à la majorité francophone du Québec.

Buste de Camille Laurin – Source : Wikimedia Commons
« Un Québécois, c’est quelqu’un qui participe à la vie québécoise et qui trouve naturel de contribuer à l’édification d’une cité plus humaine dans une patrie qui peut être la sienne aussi légitimement par adoption que par naissance. C’est affaire de choix. Personne n’est tenu de choisir le Québec. Ceux qui tiennent à camper au Québec plutôt qu’à y prendre demeure ont parfaitement le droit d’y camper; mais qu’ils ne nous tiennent pas rigueur de nous en apercevoir et qu’ils veuillent bien recevoir notre invitation à s’établir vraiment parmi nous. Il serait difficile de comprendre que quelqu’un qui ne tient pas à la réalité québécoise tienne au titre de Québécois. » – Camille Laurin dans Une traversée du Québec (1999, p.59).
Une équipe impressionnante
Considéré comme le véritable précurseur de ce qui deviendra le Québec inc., Camille Laurin (1922-1999) était très bien entouré. En plus de son chef de cabinet Henri Laberge, ancien du RIN alors impliqué comme permanent syndical à la Centrale de l’enseignement du Québec (CEQ) où il est chargé du dossier linguistique puis militant à l’intérieur du Mouvement Québec français (MQF), il reçoit la collaboration de son sous-ministre Guy Rocher, professeur de sociologie à l’UdeM qui s’est illustré lors de la commission Parent (1963-1966). Outre Maurice Forget (président de la Régie de la langue française), il s’entoure aussi d’anglophones tels que David Payne (conseiller politique) et Michael MacAndrew (son attaché de presse). Par l’entremise de son frère Pierre Laurin, directeur de l’École des hautes études commerciales, il organise également quelques rencontres privées avec des commerçants et des industriels de Montréal, tant francophones qu’anglophones, un milieu qu’il connaît assez peu. Enfin, il fera aussi le tour des régions. Puis, il recrute un professeur réputé de l’Université Laval à Québec, le sociologue et philosophe Fernand Dumont (1927-1997). C’est ce dernier qui va rédiger l’essentiel du livre blanc sur la Politique québécoise de la langue française publié le 1er avril 1977, un livret d’une soixantaine de pages qui annonce les grandes lignes du projet de loi et établit huit constats majeurs qui motivent une action sur le front linguistique dont ceux-là : 1- si l’évolution démographique du Québec se maintient à la baisse, les francophones seront de moins en moins nombreux, 2- les immigrants ont une forte tendance à s’intégrer au groupe minoritaire anglophone, 3- le français est dans l’entreprise, dans une très large mesure, la langue des petits emplois et des faibles revenus. Le but était d’assurer la primauté du français dans le respect des droits de tous les Québécois, soutenu par un objectif « thérapeutique », de réparer les blessures subies depuis la Conquête britannique de 1760, deux siècles plus tôt. Le Québec était malade et Laurin voulait le guérir en corrigeant un certain nombre d’injustices sociales et d’inégalités culturelles depuis la chute de la Nouvelle-France. Laurin se disait que « le temps était venu pour moi de réparer toutes les injustices, toutes les humiliations que les miens, dans mon village et aussi partout au Québec, ont subies. Je voulais leur redonner la fierté de cette langue qu’ils aiment, à laquelle ils tiennent. Je voulais leur donner une langue qui leur permette non seulement de retrouver cette fierté d’une culture et d’une civilisation extraordinaires […] mais aussi de donner une chance, un outil d’épanouissement à tous les miens, à tout ce peuple qui, après quatre siècles de patience, était encore là et attendait les conditions de son épanouissement. »
Un vent de réformes
Présentée d’abord en conseil des ministres le 13 février 1977, déposée à l’Assemblée nationale en mars, elle fut débattue en commission parlementaire pendant laquelle près de deux cents individus et organismes ont demandé à être entendus. La commission reçoit près de 70 mémoires. Le projet de loi passe alors de 177 articles à 232 articles pour inclure les nouveaux amendements. Le projet est appuyé par près de 160 personnalités québécoises comme Félix Leclerc et Maurice Richard ainsi que par les trois grandes centrales syndicales (CSN, CEQ, FTQ). La Charte de la langue française est finalement adoptée à majorité le 26 août 1977 par 54 voix contre 32 (principalement des libéraux et des créditistes). De tous les députés de l’opposition, seul Fabien Roy vote avec les péquistes. La bataille aura duré plus de sept mois. Après avoir mis dehors le catholicisme dans les années 1960, la langue était devenue le pilier principal de l’identité québécoise et de sa culture. On assistait à l’affirmation d’un nationalisme culturel et civique qui passait par l’unilinguisme français pour s’épanouir. De plus, la loi 101 s’inscrit dans un élan de réformes progressistes dignes de la Révolution tranquille dans le premier mandat péquiste : faire de la Saint-Jean-Baptiste du 24 juin la Fête nationale du Québec (1977), la Loi régissant le financement des partis politiques (1977), la Loi anti-briseurs de grève (1977), le Droit à la non-discrimination des homosexuels (1977), la Loi de l’assurance automobile et la création de la SAAQ (1978), la Loi sur les consultations populaires, la Loi sur la protection du territoire agricole (1978), la création du ministère de l’Environnement (1979), la Loi sur l’aménagement et l’urbanisme (1979), etc. Il fut l’un des premiers gouvernements à reconnaître le droit à l’autonomie gouvernementale aux Premières Nations. D’ailleurs, la loi 101 était aussi conçue pour défendre les droits de la minorité historique anglophone du Québec (8%) et les langues autochtones. Certains auteurs comme Geneviève Zubrzycki affirment que la loi 101 « a sans doute constitué le dernier effort de décolonisation linguistique du Québec. » Clé de voûte de la politique linguistique québécoise, la loi 101 a notamment fait du français la langue officielle du Québec et garanti des « droits linguistiques fondamentaux », dont celui de parler français au travail et celui de recevoir des services dans cette langue. Bref, les objectifs majeurs de la loi 101 étaient 1-d’arrêter l’érosion annoncée du poids démographique des francophones au Québec, 2-d’inciter une nette majorité des immigrants allophones à s’intégrer au groupe francophone, 3-d’améliorer le statut socio-économique du français de manière à déloger l’anglais comme « langue des affaires » au Québec. Selon Frédéric Lacroix, « son application a permis d’améliorer le solde des substitutions linguistiques que les immigrants effectuent vers le français (de 10 à 55%) et aussi a amélioré le statut socio-économique du français. Ces améliorations, cependant, sont de trop faible ampleur pour empêcher la minorisation des francophones au Québec (le poids des francophones a ainsi chuté de 3,4% entre 2001 et 2016, ce qui est la plus importante chute jamais mesurée depuis 1867). »[1] À l’aube du cinquantenaire de la loi 101, en 2027, souhaitons que les autorités québécoises aient la volonté et le courage politique de défendre un nationalisme linguistique décomplexé. Si on n’agit pas maintenant et rapidement pour garantir la pérennité du français dans les institutions québécoises, il sera trop tard. Sources principales : Geneviève Zubrzycki. Jean-Baptiste décapité – Nationalisme, religion et sécularisme au Québec, Montréal, Éditions Boréal, 2020, 304 p. Jean-Claude Picard. Camille Laurin : L’homme debout, Montréal, Éditions Boréal, 2003, 528 p. Camille Laurin. Une traversée du Québec, préface de Jacques Parizeau, Montréal, Éditions de l’Hexagone, 1999, 184 p. Éric Poirier. La Charte de la langue française : ce qu’il reste de la loi 101 quarante ans après son adoption, Québec, Septentrion, 2016, 240 p. Frédéric Lacroix. Pourquoi la loi 101 est un échec, Montréal, Éditions Boréal, 2020, 264 p. Camille Laurin. Le Testament. Montréal, Éditions Les Intouchables, 1999, 61 p. Gilles Laporte et Michel Sarra-Bournet (dir.). L’autre 150e : L’Histoire derrière l’anniversaire (confédération canadienne), préface de Jean-François Lisée, Montréal, Éditions Québec Amérique, 2017, 338 p. Stéphane Laporte, « La mémoire de Félix Leclerc » (10 août 2013, La Presse) : https://plus.lapresse.ca/screens/436a-2d74-52050212-b06d-6eb7ac1c606a__7C___0.html Josée Legault, « Une autre façon d’honorer Camille Laurin » (10 février 2021, Le Journal de Montréal) : www.journaldemontreal.com/2021/02/10/une-autre-facon-dhonorer-camille-laurin Geneviève Lajoie, « Langue française : la loi 101 sera réformée en profondeur » (24 novembre 2020, Le Journal de Québec) : www.journaldequebec.com/2020/11/24/la-loi-101-sera-reformee-en-profondeur Fédéric Lacroix, « [Réplique] La loi 101 : des objectifs loin d’être atteints » (14 janvier 2021, La Presse) : www.lapresse.ca/debats/opinions/2021-01-14/replique/loi-101-des-objectifs-loin-d-etre-atteints.php Statistiques sur le français : www.lesoleil.com/actualite/politique/il-y-a-40-ans-la-loi-101-9ac0399201d31189100423c622e4576a