Denis Hébert, novembre 2015
L’essor de la société de consommation au cours des années de l’après-guerre s’accompagne d’un renouvellement des problématiques sociales liées au surendettement des ménages ouvriers. Au début des années 1960 comme aujourd’hui, les familles qui succombaient aux tentations de la publicité n’hésitaient pas à s’endetter pour satisfaire leur frénésie. À l’époque, toutefois, l’essentiel du marché du crédit à la consommation était occupé par des compagnies de finance qui se riaient des lois existantes et abusaient odieusement de la confiance et de l’ignorance des clients.
C’est dans ce contexte que, le 17 août 1962, les 1 400 employés de la Shawinigan Chemicals déclenchent une grève qui promet de durer. Engagé la même année pour diriger le nouveau Service du budget familial de la CSN, André Laurin est alors appelé à prêter main-forte aux syndiqués qui sont aux prises avec des problèmes d’endettement. À la demande du président du syndicat, il fait une analyse de la situation financière des familles des grévistes et intervient auprès des institutions financières et commerciales de la région afin d’obtenir leur soutien.
À la suite de cette analyse, Laurin convoque une assemblée générale afin d’expliquer aux travailleurs comment procéder avec les contrats des « compagnies de finance », qui pratiquaient des taux d’intérêt de jusqu’à 45 %, et leur suggérer d’inscrire leurs dettes au dépôt volontaire (se mettre sur la loi Lacombe, comme on disait à l’époque), où le taux d’intérêt était automatiquement réduit à 5 %. À la fin septembre, il entreprend la formation d’une vingtaine de militants en vue d’aider les travailleurs en grève.
Laurin raconte qu’à la fin des cours, il demandait à tout le monde de répondre à une quinzaine de questions. La première était : « Avant mon exposé, qu’est-ce que vous saviez du crédit à la consommation? » Presque tous répondaient qu’ils croyaient que le crédit était fait pour aider le pauvre monde. « C’est pas des farces. C’était la réponse. » d’ajouter Laurin. La deuxième question demandait « Maintenant que je vous ai donné quelques idées sur le crédit à la consommation, c’est quoi votre opinion? » Les travailleurs lui répondaient qu’on devrait les tuer, les fusiller, les zigouiller ou toutes sortes de choses comme ça. C’était un renversement total.
Ce comité syndical, appelé l’École Syndicale, est le premier en son genre. Il offre des cours sur le budget familial et effectue des dépannages budgétaires auprès des familles les plus endettées. On y retrouve entre autres l’abbé Gaston Bellemare, aumônier du Conseil central de la CSN de la région, qui sera l’un des membres fondateurs de l’ACEF de Shawinigan, et un militant syndical, Gérard Auger, qui deviendra le premier employé permanent du mouvement des Associations coopératives d’économie familiale (ACEF) au Québec. Fondées en 1965 à l’occasion d’un congrès au Manoir du Lac Delage, les ACEF se donneront pour objectif d’éduquer et de réhabiliter les familles québécoises aux prises avec des problèmes liés à l’endettement en misant sur l’éducation et le dépannage budgétaire. Cette structure coopérative, qui regroupe à l’époque quelques-unes des plus importantes institutions syndicales et coopératives du Québec, s’imposera rapidement comme un des principaux groupes de pression dans le domaine du droit des consommateurs.