Pierre Lavergne, décembre 2014
« Un crime reste gravé pour toujours dans ma pensée et dans ma conscience. Un cocalero (producteur de feuilles de coca) a été sauvagement assassiné par les militaires du gouvernement. Un groupe de militaires, imbibés d’alcool et de haine, ont commencé à le torturer, à coups de pieds et de crosses de fusils, parce que le pauvre garçon ne voulait pas se déclarer coupable de trafic de drogues. Comme, malgré la torture, il restait digne et se taisait, les militaires déchaînés l’ont aspergé d’essence, et ils l’ont brûlé vif. Cet ignoble crime (…) m’a profondément marqué. Depuis ce jour, je me suis promis de lutter inlassablement, et de toutes mes forces, pour le respect des droits humains, pour la paix, dans ce pays qui est le nôtre. »
Ces paroles d’Evo Morales traduisent bien la profondeur de l’engagement qui l’amènera à être élu président de son syndicat et qui lui fera vivre la prison, l’assignation à résidence, la torture et les tentatives d’assassinat. Pourquoi craignait-on autant ce paysan qui, dès l’âge de 6 ans, consacrait déjà tout son temps aux travaux agricoles? Cet adolescent qui travaillera comme maçon, boulanger et trompettiste pour tenter de payer ses études qu’il devra abandonner sans pouvoir terminer son secondaire pour faire son service militaire, durant lequel il sera témoin de deux coups d’État. La raison en est fort simple. Comme syndicaliste, il luttait pour le respect et la dignité des autochtones et résistait aux plans gouvernementaux.
Ces luttes qui lui ont valu d’être battu presque à mort et de connaître la prison l’ont amené à faire son entrée sur la scène politique, pour finalement être élu président du pays en 2005. Sa première décision a été de réduire son salaire de 57% ainsi que celui des hauts fonctionnaires qui ne peuvent gagner plus que le président!
Son action ne s’est pas arrêtée là. Son gouvernement a d’abord tenu un référendum pour une nouvelle constitution qui a été acceptée par 61% de la population. Ensuite, plutôt que de s’attaquer aux plus pauvres en adoptant des mesures d’austérité, Evo Morales opta pour la nationalisation des ressources d’hydrocarbure, du secteur de l’électricité, et de l’aéroport international. Ce faisant, il ne s’est bien sûr pas fait d’amis au sein du 1% des gens les plus riches, mais les résultats de ses politiques ne se sont pas fait attendre. Les indicateurs macro-économiques furent si satisfaisants que le pays a même reçu les encouragements du FMI.
La Bolivie a affiché un taux de croissance du PIB de 5% en 2012 et de 6,8% en 2013, soit le plus élevé des 38 dernières années et l’un des plus hauts de la région. Maintenant, la nouvelle norme oblige les sociétés qui exploitent les hydrocarbures à être des entreprises mixtes détenues à au moins 51% par le gouvernement bolivien. Les agences de cotation ont par ailleurs relevé la note de risque de la Bolivie pour la faire passer à BB- (correspondant à une économie stable et non vulnérable à court terme). Sur le plan social, des avancés notables ont eu lieu grâce à la politique de redistribution du gouvernement : aide en faveur de la scolarisation, soutien aux personnes âgées et aux femmes enceintes, mise sur pied d’un service de santé publique, etc. Ajoutons à ceci que de 2005 à 2013, le taux d’extrême pauvreté a été réduit de plus de moitié, descendant de 39 % à 18 %.
Le berger devenu président raconte qu’alors qu’il était enfant il dormait dans un hôtel « mille étoiles », sous le ciel de l’Altiplano, ses voyages l’amènent aujourd’hui à dormir dans les suites des hôtels cinq étoiles. Ces changements n’ont cependant pas fait en sorte qu’il oublie les paysans vivant dans la misère sous ces mille étoiles. En octobre dernier, il était réélu à la présidence avec 61 % des voix. Une belle reconnaissance pour un homme qui s’est engagé auprès des plus démunis et qui a refusé l’austérité.