Alain Dumas – Économiste – Juillet 2020

La récession sera plus dure et plus longue que prévu, nous dit le FMI (Fonds monétaire international), de sorte que les ménages à faible revenu, déjà durement éprouvés par la crise sanitaire, risquent de s’appauvrir davantage au cours des prochains mois.

Considérant qu’avant la crise, une personne sur dix au Québec n’arrivait pas à combler ses besoins de base[1], comme se nourrir et se loger, les prochains mois s’annoncent difficiles, car des milliers de personnes ayant perdu leur emploi se sont greffées aux 800 000 personnes en situation de pauvreté. En effet, la situation de l’emploi est encore très précaire dans le tourisme, la restauration, l’hôtellerie, le transport aérien, l’aéronautique et le secteur culturel.

Inégal face à l’inflation

Cet appauvrissement est non seulement dû aux pertes de revenus d’emplois, mais aussi à l’inflation des prix qui frappe plus durement les ménages à revenu faible que les familles plus riches.

En tenant compte de l’inflation selon les différentes tranches de revenus, un chercheur de la London School of Economics a montré que l’inflation touche beaucoup plus les personnes au bas de l’échelle des salaires. Qualifiant ce phénomène « d’inflation des inégalités », le chercheur a conclu que la pauvreté touchait donc un plus grand nombre de personnes que les chiffres officiels[2].

Pour comprendre comment l’inflation n’affecte pas de la même manière les différents groupes de la société, jetons un coup d’œil sur la méthode de calcul de l’inflation au Canada.

Pour établir le taux d’inflation moyen, Statistique Canada suit l’évolution des prix de quelque 600 produits, lesquels sont regroupés dans huit catégories d’indices de prix (alimentation, logement, transport, ameublement, habillement, culture, alcool et tabac, soins personnels). Étant donné que certains produits pèsent plus lourd que d’autres dans le budget d’un ménage moyen, Statistique Canada effectue périodiquement un sondage afin de connaître la répartition moyenne des dépenses des ménages, ce qui lui permet au final de calculer le taux d’inflation moyen.

Puisque que la place occupée par les huit catégories de produits dans le budget est différente selon la catégorie des revenus des ménages, l’inflation moyenne ne montre pas comment les hausses de prix affectent les différentes classes de revenu. D’une part, même si le taux d’inflation moyen est beaucoup plus faible qu’avant la crise (-0,1 % en mai), les prix des aliments ont fortement augmenté en mai (+3,1 %), et plus particulièrement la farine (+9,4 %), le riz (+9,3 %), le thon (+13,9 %) et la viande (+7,8 %)[3]. D’autre part, comme l’alimentation occupe une place beaucoup plus grande dans le budget des ménages les moins favorisés (17 %) que dans celui des ménages aux plus hauts revenus (12,6 %)[4], l’inflation touche donc plus fortement les familles à faible revenu.

En tenant compte de ces différences, l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS) a montré que la hausse du coût de la vie a été 27 % plus élevée chez les plus pauvres que chez les plus riches au cours des vingt dernières années[5].

La hausse annoncée des prix des aliments au cours des prochains mois compliquera encore plus la vie des moins favorisés, lesquels voient leur revenu baisser et les prix augmenter. C’est pourquoi de nouvelles aides seront nécessaires pour ces ménages. Si les mesures temporaires annoncées par les gouvernements ne permettent pas de juguler cette vague d’appauvrissement, le moment n’est-il pas venu d’instaurer une forme de revenu de base garanti pour tous.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Sources:

[1] Pierre Tircher et Nicolas Zorn (2020), Inégaux face au coronavirus : constats et recommandations, Montréal, Observatoire québécois des inégalités.

[2] Robin Tutenges, La pauvreté a désormais sa propre valeur d’inflation aux États-Unis., KoriSlate, 12 novembre 2019, (https://korii.slate.fr/biz/pauvrete-valeur-inflation-inegalites-etats-unis).

[3] Statistique Canada, Indice des prix à la consommation, mai 2020.

[4] Selon une étude récente de l’IRIS : Pierre-Antoine Harvey et Minh Nguyen, L’inégalité face à l’inflation, IRIS, juin 2020.

[5] Ibid.

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