Parlant de la santé, on ne le répétera jamais trop : tous ne sont pas égaux devant la maladie et la mort.

Assurer la santé de la population passe également par la lutte aux inégalités
sociales de santé. Crédits: Dominic Bérubé
Cette réalité ne dépend pas de la génétique humaine. Elle ne peut être corrigée non plus parla seule dispensation des services médicaux et hospitaliers, dussent-ils accaparer la part du lion des finances publiques. En fait, le système de soins de santé, laissé à lui-même, est comparable, disait un ancien haut fonctionnaire, à une fournaise en plein milieu d’un champ : plus on met du bois dedans, plus ça chauffe sans que rien tout autour n’en soit altéré. C’est ainsi que la morbidité associée aux grands tueurs que sont le cancer ou les maladies cérébrovasculaires frappent plus durement certains que d’autres. Et c’est de cette façon que les états de santé de la population suivent très exactement la courbe qui va de la pauvreté à la richesse.
« Dans notre région, 300 décès seraient évités chaque année si les inégalités sociales de santé disparaissaient »
Au motif qu’ils sont faiblement scolarisés, qu’ils ont les revenus les plus bas, qu’ils sont souvent éloignés du marché de l’emploi et qu’ils résident dans les premiers quartiers de nos villes, les personnes les plus défavorisées ont une espérance de vie réduite de sept à huit ans en comparaison de personnes les plus favorisées. Et ce qui est observé pour la mortalité s’applique à l’ensemble des problèmes de santé et des problèmes sociaux, allant du cancer du poumon à la fécondité chez les adolescentes en passant par le suicide et les accidents de la route. Ces conséquences sont essentiellement liées à un parcours de vie difficile au cours duquel les personnes côtoient au jour le jour l’insécurité alimentaire, habitent un logement de second ordre, exercent les métiers les plus ingrats quand ils ne sont pas refoulés à la périphérie de la vie active et, se retrouvant en situation d’impuissance devant l’adversité, encaissent une surcharge continue d’angoisse et d’afflictions diverses. Au total, dans notre seule région, 300 décès seraient évités chaque année si les inégalités sociales de santé disparaissaient, précisait le directeur de la santé publique à l’occasion de la publication de son dernier rapport sur la santé de la population.
Les inégalités devant la maladie et la mort relèvent d’une grave injustice parce qu’elles sont construites de toutes pièces par l’organisation de la vie en société. Le sociologue Christian Baudelot résume le tout dans une formule éclatante : «L’ordre d’arrivée au cimetière est le résultat d’une hiérarchie implacable, les premiers sont les derniers». Les inégalités sociales de santé ne sont donc pas une fatalité. Comme société avancée, nous avons les connaissances ainsi que les moyens pécuniaires et techniques de les réduire à leur plus simple expression.
Et l’ironie dans tout ça, c’est que ce n’est pas qu’une affaire de morale. Si nos politiques publiques étaient plus affirmées, nos richesses mieux redistribuées et notre développement collectif plus inclusif, les conditions de vie des plus démunis se verraient bonifiées et par conséquent, l’état général de tout le monde s’en trouverait amélioré. Au lieu de mettre plus de la moitié des recettes de l’État dans la fournaise, on investirait là où ça compte : dans la mise en valeur du potentiel et de la capacité d’agir de tous et chacun. Ce faisant, on arriverait enfin à construire une société meilleure, tout en continuant à se chauffer très convenablement…