Par Sébastien Houle, mai 2018
En 2001, l’Organisation mondiale de la santé estimait qu’une personne sur quatre allait être atteinte d’un trouble d’ordre psychiatrique ou neurologique au cours de sa vie. Elle servait cette mise en garde, soulignant que, d’ici 2020, la dépression serait la deuxième cause d’invalidité dans le monde, après les maladies cardiaques.
Il y a quelques semaines, s’appuyant sur les données de la Régie de l’assurance maladie du Québec, Radio-Canada révélait que le nombre de jeunes de 6 à 20 vingt ans s’étant fait prescrire des antidépresseurs au cours des quatre dernières années est en hausse de 50 %. Pour expliquer cette hausse, le Dr Frédéric Charland, président du comité de pédopsychiatrie de l’Association des médecins psychiatres du Québec, faisait valoir que les troubles de la santé mentale seraient aujourd’hui mieux détectés, tout en reconnaissant qu’il y a aussi un manque d’intervenants dans le réseau de la santé.
Raymond Leclair, directeur de Solidarité régionale d’aide et d’accompagnement pour la défense des droits en santé mentale du Centre-du-Québec/Mauricie (SRAADD), convient qu’il s’agit là de facteurs explicatifs. Il se désole toutefois de voir la médication, certes efficace pour traverser certaines tempêtes, devenir une béquille permanente. Il faudrait selon lui privilégier un recours combiné à la psychothérapie et à la médication. « L’approche psychiatrique est davantage axée sur la médication, les psychologues eux, c’est de l’écoute », déclare-t-il tout en se désolant de constater que le système ne dispose pas des moyens nécessaires pour aller dans ce sens. « Ce que l’on voit souvent, c’est que le ministère va allouer dix visites à quelqu’un pour un suivi en psychologie, et après la personne est laissée à elle-même, alors que ce suivi est précisément ce dont elle aurait besoin pour s’en sortir », ajoute-t-il.
D’autres observateurs dénoncent la mainmise de l’industrie pharmaceutique sur le secteur de la santé pour expliquer la recrudescence des prescriptions. C’est le cas de Jean-Claude St-Onge, professeur de philosophie à la retraite et auteur de L’envers de la pilule et de Tous fous ?, parus chez Écosociété. « Les deux principaux moteurs de surdiagnostic et de surtraitement reposent sur l’influence de l’industrie pharmaceutique qui travaille main dans la main avec l’American Psychiatric Association et le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux », déclarait-il ans le cadre d’une allocution relayée par le Regroupement des ressources alternatives en santé mentale du Québec. M. St-Onge évoque également les moyens colossaux dont disposent les multinationales pharmaceutiques : « elles sont trois fois et demie plus rentables que la moyenne des grandes corporations figurant sur la liste du magazine Fortune », illustre-t-il. Selon les critiques, le puissant lobby pharmaceutique déploie ses efforts sur les fronts de la recherche, de l’éducation, de la formation continue et d’une promotion hyperactive auprès des professionnels de la santé.