Les conséquences de la spéculation immobilière se font sentir en Mauricie alors que les témoignages de locataires victimes de pressions indues de la part de leurs nouveaux propriétaires se multiplient. La Gazette de la Mauricie s’est entretenue avec trois locataires qui ont subi ces impacts à différents niveaux.
Anne et son voisinage ont gagné la première manche
Des résidents et résidentes du centre-ville l’ont échappé belle au printemps dernier, suite à la vente de leur bloc à un groupe entrepreneurial de Québec. Immédiatement après la vente, l’un de ses membres s’est présenté aux locataires en leur suggérant fortement d’accepter une hausse de 48 % de leur loyer, laissant planer la menace de l’éviction s’ils et elles refusaient. Mais le voisinage s’est plutôt concerté et a refusé la hausse, appuyé par l’organisme InfoLogis Mauricie : « Ils nous ont accompagnés et on a compris que les nouveaux proprios ne pouvaient pas faire ça, légalement », affirme Anne*, soulagée… mais toujours inquiète.
C’est que son combat pourrait n’en être qu’à ses débuts : « Ils ont immédiatement remis l’immeuble en vente, et il serait déjà sur le point d’être racheté… on a évidemment peur que ça recommence avec les prochaines propriétaires. »
Un déménagement imprévu et difficile pour Jessy
Jessy*, qui vit en situation de pauvreté, a vécu une situation similaire il y a quelques mois quand son bloc de la rue Saint-Paul a lui aussi été vendu, cette fois à des investisseurs montréalais : « Un des nouveaux propriétaires s’est présenté chez moi et m’a offert 1000 $ en liquide pour que je signe un document. Il m’a dit que je devais quitter mon 3 ½ parce qu’un membre de sa famille viendrait l’occuper, que c’était prévu dans la loi. » Les autres locataires de son immeuble, qui ont aussi accepté de partir, ont ensuite réalisé que l’ensemble des locataires avait été berné de la même manière, mais il était trop tard.
La femme se dit tout de même chanceuse, elle qui a pu bénéficier de l’aide de l’organisme COMSEP, qui vient en aide aux personnes en situation de pauvreté, afin de se trouver un nouveau logement abordable. Elle planifie maintenant un déménagement qui s’annonce coûteux et complexe, se demandant comment elle pourra payer et transporter de nouveaux électroménagers.
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Jean est de retour dans la rue
D’autres citoyens et citoyennes ont eu moins de chance. Jean*, qui fait partie d’une population plus marginalisée, est de retour dans la rue depuis juin dernier suite à un litige avec le nouveau propriétaire de l’immeuble qu’il habitait à Shawinigan : « J’ai tout perdu […]. Je me retrouve à dormir dehors, comme d’autres à Trois-Rivières, au port ou au parc Champlain ».
Heureusement, il peut tout de même compter sur l’organisme Point de rue, qui vient en aide aux personnes en situation d’exclusion sociale et d’itinérance, et qui constitue le dernier filet de sécurité pour les personnes avec des problématiques similaires. Pour Thibault Finet, coordonnateur de l’organisme, la problématique du logement est toutefois beaucoup plus complexe pour les personnes vulnérables : « Il ne s’agit pas uniquement de leur trouver un logement : ils ont besoin de soutien psychosocial et d’accompagnement pour développer leur autonomie et créer des liens de confiance. » M. Finet, qui est au premier rang pour en témoigner, affirme que la situation se dégrade actuellement : « On voit une forte augmentation du nombre de gens qui ont besoin de nos services. Le refuge et le Havre débordent. On a besoin de plus de ressources, de plus de travailleurs de rue. »
Pour Jean, le combat est loin d’être gagné, lui qui espère maintenant se trouver un nouveau toit avant le retour du temps froid.
Vers un registre des loyers à Trois-Rivières ?
Le ROÉPAM, un regroupement d’organismes de défense des droits, proposait récemment de créer un registre permettant de rendre public le prix de location des logements dans le but de décourager les hausses abusives à Trois-Rivières. En juin, ils ont obtenu et divulgué un avis juridique déterminant qu’il s’agissait bel et bien d’une compétence municipale, le maire Jean Lamarche ayant émis des doutes sur cette possibilité lors de sa campagne électorale en 2021.
Le conseiller Pierre-Luc Fortin a d’ailleurs posé un premier geste en ce sens à la séance du conseil du 21 juin dernier : il a déposé un avis de motion informant ses collègues qu’ils et elles auront bientôt à voter sur un règlement permettant la création d’un tel registre. Le combat n’est toutefois pas gagné à Trois-Rivières, alors que des membres du conseil auraient émis des réserves face au projet, à huis clos, notamment à cause des budgets nécessaires à la mise en place d’un tel registre.
Aucune municipalité québécoise n’a implanté ce type de registre actuellement, mais la Ville de Montréal, qui en a fait l’annonce et y travaille, doit conjuguer avec la pression provenant de la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ), qui leur demande d’abandonner le projet. Assurément, les élus et élues qui décideront d’aller de l’avant avec ce dossier auront besoin d’une bonne dose de courage politique pour affronter les forces du milieu économique.
*Les noms des personnes ont été changés pour préserver leur anonymat
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Photo de l’en-tête : Plusieurs propriétaires provenant de l’extérieur de la région ont récemment acquis des immeubles à Trois-Rivières. Certains semblent se spécialiser dans les « flips immobiliers », cette manœuvre lucrative qui consiste à acheter un immeuble et à le revendre rapidement afin d’engendrer des profits faciles. Crédit : Dominic Bérubé.