Par Sébastien Houle, mars 2017
En marge du 29e Salon du livre de Trois-Rivières, et par suite de l’annonce par le ministre de l’Éducation, en décembre dernier, d’un investissement de 20 millions de dollars pour lutter contre l’analphabétisme, La Gazette de la Mauricie a jugé opportun de s’attarder un instant à l’enjeu crucial de la littératie, mot qui désigne tous les apprentissages de base qui sont enseignés pour nous permettre de fonctionner en société.
Les études statistiques récentes font état d’une situation alarmante au Québec. Celles-ci établissent entre autres que parmi les 18-65 ans, une personne sur deux ne disposerait pas des compétences de lecture requises pour fonctionner aisément dans la société. C’est d’ailleurs cette donnée qui retient le plus l’attention et soulève une indignation compréhensible. Or, la situation – et les solutions pour y remédier – se révèlent plus complexes qu’un simple compte rendu statistique.
En 2013, le Conseil supérieur de l’éducation (CSE), un organisme gouvernemental sanctionné par la loi, déposait un avis destiné à la ministre de l’Éducation de l’époque, intitulé Un engagement collectif pour maintenir et rehausser les compétences en matière de littératie des adultes. Dans l’énoncé même, la notion de « maintien » vient bousculer l’idée reçue que la littératie serait une compétence statique; le CSE dira ainsi qu’« une fois l’école terminée et le diplôme obtenu, les habitudes de lecture fléchissent et, par conséquent, les habilités s’estompent ».
Dans le même ordre d’idée, le document situe le rapport à l’écrit dans trois perspectives d’apprentissage, soit le formel (ex. école), le non formel (ex. organisme communautaire) et l’informel (ex. médias). Ce faisant, on place la problématique dans un cadre qui dépasse celui du seul environnement scolaire. Des chercheurs, cités par le CSE, parleront « d’environnement écrit participatif » et de « perspective de développement humain durable ». Pour appuyer son argumentaire, le rapport fait état des résultats obtenus en Suède, pays en tête de peloton en matière de littératie; on y retrouve une faible corrélation entre revenu, éducation et niveau de littératie.
Qui plus est, la Suède ne dispose pas de politique publique en matière d’alphabétisation. On souligne que le système d’éducation aux adultes y est développé dans l’optique de la formation d’une main-d’œuvre susceptible de répondre aux exigences du marché du travail, mais aussi, dans la conviction historique qu’éducation et savoir vont de pair avec émancipation personnelle et civique.
Dans un rapport de recherche produit pour le ministère de l’Éducation, et cité par le CSE, la chercheuse Rachel Bélisle évoque quant à elle, en parlant de l’approche informelle en matière d’alphabétisation, la perspective de l’empowerment ou de capacité des individus à « se tailler une place à part égale et à part entière sur l’échiquier social »; dans une société préoccupée par le développement et la croissance économique, peu de place est laissée à l’initiative et à la coopération, propices à la mobilisation et à la consolidation des compétences de lecture qu’engendrerait un environnement plus inclusif. On cite en exemple les instances démocratiques des organismes communautaires où des gens, souvent peu à l’aise avec l’écrit, s’investissent et s’offrent des cadres d’apprentissage participatifs. C’est d’ailleurs autour de cette notion de participation que semblent converger les recherches. Celle-ci sous-entend un changement de culture axé sur l’inclusion sociale et favorisant la mobilisation et la consolidation continue des savoirs.