Collaboration Le Sabord
Originaire de Sainte-Ursule en Mauricie, Mathieu Croisetière a de nombreuses œuvres à son actif, dont quatre recueils de poésie aux Éditions d’art Le Sabord, ainsi que plusieurs nouvelles parues dans diverses revues québécoises. Il nous parle de sa toute dernière création, « Sur la plage », publiée dans le numéro 123 du Sabord.
À la fois poète, nouvelliste et romancier, Mathieu Croisetière aime explorer les potentiels des différents genres littéraires. Il affectionne notamment la poésie, qui « met immédiatement – presque télépathiquement − l’auteur et le lecteur en contact par le moyen des mots. Elle sert à dire ce qui ne peut pas l’être autrement ». Selon lui, elle donne à lire une voix qui n’est pas enchaînée à un récit, « comme dans le rêve, où les émotions transcendent logique et identité ». À l’inverse, la nouvelle et le roman visent à raconter des histoires en établissant « un univers qui résiste à l’émotion brute, immédiate, imprimée par les mots. » En un sens, résume-t-il, la poésie comme la nouvelle et le roman « cherchent la même chose, mais par des approches différentes ».
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Ce qui a attiré l’auteur prolifique dans les Éditions d’art Le Sabord, c’est la relation entre littérature et arts visuels. En plus d’être une maison de sa région d’appartenance, chaque livre du catalogue « est unique, comme une œuvre d’art », soutient-il. C’est d’ailleurs cette alliance entre les deux formes de création qui le motive à soumettre ses textes à la revue Le Sabord : « c’est ce que j’aime aussi de la revue, qui marie l’art visuel à des textes très divers, d’une grande liberté créatrice. » Le poète et nouvelliste chérit en effet cette liberté de création à travers ses nouvelles, qui impliquent le plus souvent une part de fantastique. Or, il affectionne également l’écriture de la quotidienneté. La juxtaposition de ces deux intérêts – le fantastique et la quotidienneté – permet, confie-t-il, « une irruption du merveilleux et de l’étrange dans la vie de tous les jours. Quand ils se rencontrent, ils s’éclairent mutuellement ».
Sa toute dernière nouvelle, « Sur la plage », met en scène une petite famille en vacances au bord de la mer. Certaines tensions, a priori anodines, affectent le couple ; durant l’une de leurs altercations, le père est distrait par une forme mystérieuse qui apparaît au loin. Pour cette création, Mathieu Croisetière avait en tête « l’image d’une chose sombre et inquiétante – l’objet inexpliqué qui apparaît dans le ciel au début de la nouvelle – qui est comme la traduction symbolique de la situation des personnages ». Il dit s’être inspiré du recueil de nouvelles de Laura Kasischke Si un inconnu vous aborde dans lequel l’autrice « flirte avec le fantastique d’une manière singulière et presque imperceptible, atmosphérique ». Il précise que « paradoxalement, le fantastique me permet de parler du monde réel d’une manière que je n’arrive pas à faire directement, à partir de situations ordinaires. »
Plusieurs projets sont en cours du côté de Mathieu Croisetière ; un roman d’horreur, des nouvelles et plusieurs poèmes s’accumulent dans ses tiroirs. D’ici à sa prochaine parution, voici un extrait de « Sur la plage », que vous pourrez lire dans son intégralité dans le 123 | rhizomes de la revue Le Sabord :
− Qu’est-ce que c’était ? s’exclama Jules.
− Ne change pas de sujet, répondit Claire.
− Non, sérieux, j’ai vu quelque chose là-bas.
Jules se leva de sa chaise de toile, sortit de l’ombre du parasol et s’avança sur le sable. Un voilier dérivait à l’horizon, minuscule, et c’était tout. L’espace d’un battement de cils, à la limite où l’océan rejoignait le ciel, il avait cru voir un objet émerger. Non, pas émerger. Ça n’avait pas semblé jaillir de l’eau, mais remonter depuis l’extrémité de la Terre, comme la lune ou le soleil. Un disque immense et sombre, montrant à peine un arc de cercle qui permettait d’en deviner la forme. Ça n’avait duré qu’une seconde, et pourtant c’était si clair, si précis dans son apparition, que Jules ne pouvait se résoudre à un mirage, à un reflet sur les vagues ou à une tache dans ses lunettes. Sans bouger de l’endroit où il s’était avancé sur la plage, il retira néanmoins celles-ci, entreprit de les nettoyer avec le bord de son T-shirt, avant de prendre conscience de la chaleur du sable sous ses pieds. Il était brûlant. En sautillant, Jules revint se glisser à l’ombre du parasol, remit ses verres fumés et se réinstalla dans sa chaise.