Daniel Landry – International – Comité de solidarité/Trois-Rivières – Avril 2021

Les deux premières décennies du XXIsiècle ont été marquées par l’accentuation d’une crise de légitimité de l’État. La démocratie représentative est en déroute : l’adhésion à la politique active et la participation électorale semblent en recul en Occident (particulièrement chez les plus jeunes générations) et les gouvernements s’enlisent dans une gouvernance du court terme, et ce, au détriment de projets de société mobilisateurs. Plus que jamais, le pouvoir politique semble détenu par le monde de la finance et les oligarques – pour reprendre les termes d’Hervé Kempf – bien plus que par les citoyens.

Ces constats sont déroutants, et rares sont les gouvernements en mesure d’offrir des solutions de rechange et des réponses claires aux défis criants de notre siècle, qu’il s’agisse des changements climatiques, de la répartition des richesses et de la lutte aux paradis fiscaux, des crises migratoires ou de l’encadrement des géants de la technologie et de l’intelligence artificielle. L’actuelle pandémie de COVID-19 (2020-2021) permet d’ailleurs de réaliser à quel point les États se trouvent à la merci des géants du Web, des pharmaceutiques ou d’autres acteurs privés guidant le marché. Est-ce le type de démocratie à laquelle l’auteur Francis Fukuyama songeait quand il annonçait la « fin de l’Histoire » et la découverte du meilleur système ? Il faut en douter.

C’est justement ce doute qui génère une perte de confiance dans les institutions et les pouvoirs en place. Dans le meilleur des cas, perte de confiance rime avec mobilisation populaire, et essor de mouvements sociaux dynamiques et connectés sur les enjeux de notre siècle. Mais dans le pire des cas, cette grogne est canalisée par le défoulement sur les réseaux sociaux, les tensions et les divisions partisanes ou encore, tristement, par l’apathie citoyenne. Tout ce contexte de perte de sens politique pave immanquablement la voie à l’émergence des populismes.

En effet, le psychosociologue Alexandre Dorna croit que la montée du populisme dans les dernières années ne représente pas tant le mal du système que le symptôme d’une crise de la démocratie représentative. Dorna identifie quelques caractéristiques du populisme, notamment l’adhésion à une personnalité charismatique, l’attitude antiélitiste et le désir de rupture avec le système en place. Pour lui, à gauche comme à droite, des politiciens populistes émergent justement en raison de cette crise de confiance qui affecte la société (de Lula à Bolsonaro au Brésil ; de Sanders à Trump aux États-Unis).

À gauche comme à droite, des politiciens populistes émergent justement en raison de cette crise de confiance qui affecte la société (de Lula à Bolsonaro au Brésil ; de Sanders à Trump aux États-Unis).

Force est de constater qu’au sortir de l’ère trumpiste (2017-2021), le populisme a bien mauvaise presse et qu’il est embêtant de s’en réclamer. Faisant appel aux émotions des électeurs plutôt qu’à leur raison, il tend parfois à adopter des airs autocratiques, assoyant un pouvoir aux allures tantôt fascisantes, tantôt staliniennes. Cependant, au-delà des figures de référence du populisme, reconnaissons que même les politiciens issus de l’establishment (nos premiers ministres Trudeau et Legault, par exemple) utilisent eux aussi des stratégies populistes pour parvenir à leurs fins électoralistes. Pour ces raisons, peut-être faut-il se garder d’amalgamer tous les populismes et distinguer clairement ses formes à prétention démocratique.

La philosophe Chantal Mouffe semble convaincue que populisme et démocratie peuvent cohabiter. Abordant l’avenir de la gauche, elle parle de « stratégie populiste » et de la nécessité de reconnaître que le débat politique émerge grâce aux émotions, et que c’est par leur entremise qu’on mobilisera une partie importante des citoyens honnis par le système en place. Cette prise de conscience permettrait en somme la reconnexion du politique et des citoyens, sans pour autant empêcher les débats entre adversaires politiques. Ironiquement, en plus d’atténuer cette perte de confiance dans les institutions, une telle « stratégie populiste » permettrait de renouer avec une démocratie délibérative plus riche et plus respectueuse de la pluralité des opinions.

En somme, peut-être faut-il rester prudent avant de discréditer un politicien (du genre d’Ocasio-Cortez) ou un parti (du type Podemos) du simple fait qu’il adopte prétendument une posture populiste. Car, à court terme, le populisme pourrait bien être le moyen retenu pour arriver à une « fin » démocratique bien différente de la « fin » imaginée par Fukuyama.

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