Alain Dumas, avril 2016
Alors que la part du revenu national accaparée par les 1 % les plus riches a doublé depuis 30 ans, les inégalités dépassent aujourd’hui le niveau extrême atteint avant la grande crise des années 1930. Ce déséquilibre a de quoi inquiéter de nombreux intervenants[1] qui, jusqu’à tout récemment, ne se préoccupaient pas trop de ce phénomène.
Pour le Fonds monétaire international (FMI), les inégalités nuisent à la croissance et à l’efficacité économique, comme le montre sa récente étude sur le sujet. Et selon l’Organisation internationale du travail (OIT), pour qui les troubles sociaux sont « 10 % plus élevés qu’avant la crise » de 2008, les inégalités extrêmes exacerbent les tensions sociales dans le monde.
L’économiste Thomas Piketty[2] est sans doute celui qui a le mieux cerné les causes des inégalités extrêmes. Partant du constat que les revenus sont distribués à l’envers depuis trente ans, c’est-à-dire des classes moyennes et populaires vers les plus riches, on assiste une concentration des revenus qui alimente la concentration des richesses accumulées, laquelle alimente la concentration des revenus de placement (de cette richesse), et ainsi de suite.
Selon Piketty, ce mécanisme pervers de redistribution est tellement puissant qu’il « peut conduire à des trajectoires explosives et des spirales inégalitaires hors de tout contrôle. »
Des solutions concrètes
Devant un tel constat, il apparaît urgent d’agir. Récemment, l’économiste Anthony Atkinson, un pionnier de la recherche sur les inégalités depuis quarante ans, publiait un livre (Inégalités, Seuil, 2016) dans lequel il propose quinze solutions pour concilier équité et efficacité économique.
Sur le plan de la fiscalité. Il propose de rendre l’impôt plus progressif en portant à 65 % le taux d’impôt sur les tranches supérieures de revenus et de prélever un impôt minimum sur les grosses successions. Pour les entreprises, il propose de relever leur taux d’imposition et d’instaurer un impôt minimum. Pour les multinationales, il préconise une taxation de leurs profits en fonction du chiffre d’affaires réalisé dans chaque pays, comme l’Union européenne est en voie de le faire. Le Centre canadien de politiques alternatives estimait récemment que telles mesures permettraient au gouvernement fédéral d’augmenter ses revenus de 15 milliards $ dès l’an prochain.
Sur le plan de la redistribution. Atkinson propose d’augmenter généreusement les allocations familiales et les transferts sociaux aux ménages à faible revenu, ce qui contribuerait à accroître l’efficacité de l’économie, ne serait-ce qu’en améliorant la santé de la population et en diminuant le décrochage et l’échec scolaire, comme le montre une étude du FMI (2014)[3]. Il propose également d’assurer un meilleur accès à l’assurance-chômage et d’en rehausser les prestations, car dit-il l’assurance-chômage est fondée sur la perte involontaire d’emploi. Pour les retraités qui ne cessent de s’appauvrir en raison des faibles taux d’intérêt, Atkinson propose que l’État garantisse un rendement de leur épargne qui se rapproche du taux de rendement sur le capital.
Sur le plan des revenus et de l’emploi. Puisque le plein emploi réel n’est plus possible avec les changements technologiques et les emplois précaires (temporaires et à temps partiel), Atkinson propose que l’État garantisse à ceux qui le souhaitent un emploi public d’utilité sociale à un salaire minimum décent. Il propose un « revenu de participation » (lié à une activité socialement utile et non rémunérée) en complément à la protection sociale. Enfin, il propose d’augmenter le salaire minimum à un niveau couvrant les besoins de base actuels, ce qui permettrait d’améliorer la productivité des entreprises et de diminuer les coûts de recrutement liés aux départs incessants d’une main-d’œuvre mal payée et non motivée.
Selon Atkinson, ces mesures permettraient de rétablir l’équité socio-économique sans nuire à l’efficacité économique.
[1] Comme en témoignent les études publiées par les organisations suivantes : Conference Board du Canada, FMI, Morgan Stanley, OCDE, Standard & Poor’s, Banque centrale des États-Unis.
[2] Thomas Piketty, Le capital au XXIe siècle, Éditions du Seuil, 2013, 970 pages.
[3] Jonathan D. Ostry, Andrew Berg et Charalambos G. Tsangarides, Redistribution, Inequality, and Growth, IMF.org, SDN/14/02,fdévrier 2014.