Alain DumasAlain Dumas, économiste, septembre-octobre 2019

Comme nous l’avons compris dans la crise qui frappe les médias, ce n’est pas le lecteur qui fait défaut, mais les revenus publicitaires qui se déplacent des journaux vers les plateformes numériques comme Google et Facebook. Ces derniers s’accaparent désormais la moitié des revenus publicitaires de la planète, soit 300 milliards de dollars cette année. Puisque ces «médias» numériques s’abreuvent gratuitement des contenus générés par les vrais médias d’information, l’idée de taxer les géants de l’économie numérique[1] fait de plus en plus consensus. Pour mieux saisir la raison d’une telle taxe, voyons pourquoi et comment ces géants ont acquis une telle puissance dans la société.

L’effet de réseau

Alors que Facebook a le monopole des réseaux sociaux, Google s’accapare 90 % de la recherche sur Internet. Leur domination s’explique par l’effet de réseau. En offrant des services utiles et gratuits, ces géants ont attiré toujours plus d’usagers, suscitant  un intérêt grandissant à joindre ce même réseau, de sorte qu’ils dominent leur secteur. Mais la gratuité du réseau a une contrepartie. Les utilisateurs consentent à céder la propriété de leurs informations (ou données) personnelles au réseau, de sorte que celui-ci les utilise en vendant de l’espace publicitaire et en les revendant à d’autres entreprises. C’est ainsi que Google tire 85 % de ses revenus.

Ces géants numériques, qu’on désigne GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazone), génèrent donc des profits faramineux, comme en témoigne leur valeur en bourse de 3000 milliards de dollars, ce qui leur permet d’écraser sur-le-champ la concurrence en achetant toute entreprise concurrente ou complémentaire à la leur.

La concentration et la puissance économique des géants de l’économie numérique représentent-elles un danger pour la liberté de presse? Comme nous venons de le souligner, l’utilisateur des réseaux n’est pas un client, mais un produit vendu sous forme de données personnelles. Et là où le bât blesse, c’est que la très forte concentration du contrôle des données personnelles constitue aujourd’hui une menace pour la liberté et la diversité de presse, la liberté de pensée et les processus démocratiques.

Entreprises invisibles, impôt zéro

Ce n’est plus un secret pour personnes, ces géants « invisibles » paient peu d’impôts et ne perçoivent pas les taxes de vente parce qu’ils ne sont pas rattachés à un lieu physique. Par ailleurs, ils ne paient pas de redevances au fonds des médias et au fonds culturel, ce qui leur procure un avantage compétitif considérable sur les médias locaux.

Un projet mondial de taxation

L’indignation a assez duré. Il est temps que nos gouvernements posent des gestes pour percevoir les revenus fiscaux qui leur échappent. Le Royaume-Uni, l’Italie, l’Espagne et la France ont décidé d’appliquer une taxe sur les services numériques à hauteur de 2% à 3% du chiffre d’affaires. Ces initiatives ont amené l’OCDE (Organisation de coopération et développement économique) à lancer un chantier, auquel participent 130 pays, pour imposer une taxe uniforme aux entreprises numériques.

Nos gouvernements sauront-ils prendre le train qui est en marche? Voilà un bel enjeu à discuter lors de la campagne électorale fédérale.


[1]Les entreprises de l’économie numérique produisent des biens et services délivrés sous une forme numérisée, par le biais des réseaux internet et mobiles, et de capteurs de données. Le commerce électronique fait partie de l’économie numérique.

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