Université du Québec à Trois-Rivières – Crédits : Dominic Bérubé

En plus du développement de solutions technologiques aux problèmes environnementaux, faire face à la crise climatique exigera aussi de profonds changements sociaux et culturels. Dans quelle mesure l’enseignement universitaire et le mode de financement actuel de la recherche permettent-ils de stimuler ce changement de paradigme ?

Devant la crise climatique, l’expertise des institutions universitaires est mise à profit pour trouver des solutions de rechange aux énergies fossiles et des outils d’adaptation au réchauffement du climat. Par exemple, au sein de l’UQTR, des chercheurs développent des innovations pour réduire les émissions de gaz à effets de serre, tels que des véhicules à l’hydrogène ou des biocarburants issus de la transformation d’algues ou de résidus de bois.

Mais au-delà des solutions techniques, certaines voix s’élèvent pour dénoncer les pratiques économiques actuelles dans la crise environnementale et plaident pour que les universités jouent un rôle dans la redéfinition des théories qui les soutiennent. À ce sujet, Omar Aktouf, professeur titulaire honoraire à HEC Montréal publiait le 31 juillet dernier dans Le Devoir, un texte d’opinion qui propose, ni plus ni moins, de fermer les écoles d’économie et de gestion des universités, « en attendant de redéfinir tout ce qu’on y enseigne. » Pour cet intellectuel, les écoles de gestion et leurs théories qui visent à « faire de la croissance infinie » perpétuent « une pensée économique dangereuse et dépassée […] une idéologie au service de ceux qui en profitent par la dégradation et la destruction de ce qui est vital : l’air, l’eau, les océans, les forêts, le climat, les terres, l’équilibre des écosystèmes… »

L’âge du solutionnisme technologique

Ce discours très critique de la discipline qu’il enseigne ne surprend pas Étienne St-Jean, professeur titulaire au département de management de l’École de gestion à l’UQTR. « Du point de vue de l’accumulation des preuves scientifiques du réchauffement climatique et des effets d’emballement dont les spécialistes du climat nous parlent, il est évident que nous devrons tôt ou tard remettre en question certaines pratiques économiques », explique-t-il.

Toutefois, le luxe de porter un regard critique sur une discipline et de redéfinir ses pratiques n’est pas offert à tous les chercheurs. « En réalité, chaque chercheur est pris dans un engrenage où, pour performer selon les standards de la communauté scientifique et des évaluations universitaires, il doit produire des connaissances en lien avec ses compétences. »

Cette réalité, combinée à du financement orienté vers la recherche appliquée, se traduit nécessairement, dans le cadre universitaire, par une prédominance du développement d’innovations technologiques au détriment des innovations humaines et sociales. Lors de l’annonce du dernier budget fédéral, la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU) avait d’ailleurs déploré qu’une partie importante du financement de la recherche soit consacrée à de la recherche stratégique dans des secteurs ciblés et au soutien de l’innovation et à la recherche industrielle.

Le professeur St-Jean se dit dubitatif devant la promesse des solutions technologiques pour résoudre la crise climatique : « l’innovation technologique a toujours créé l’illusion de solutionner les problèmes, alors qu’elle ne fait souvent que les complexifier. C’est vrai qu’à court terme, elle règle un problème, mais elle en crée aussi d’autres ; tout moyen de transport requiert de l’énergie et cette énergie n’est pas sans coût (d’un point de vue entropique).  Idem pour l’agriculture : les engrais ont été très utiles, mais ils polluent et dégradent les sols. C’est pareil pour la 5G : la technologie va permettre davantage de données de circuler, mais déjà, la demande croissante attend cette technologie », fait-il valoir.

Doit-on transformer l’université ?

Un rapport du scientifique en chef sur « l’Université québécoise du futur », qui a été rendu public à la fin septembre 2020 constate que devant la menace de la crise climatique et de la dégradation de l’environnement, les universités sont sollicitées pour « dicter la forme et l’importance des changements à mettre en œuvre, pour influencer les politiques publiques, accompagner les industries et mieux comprendre comment agir efficacement sur l’opinion publique en cette matière. »

Pour Étienne St-Jean, « la manière dont on produit de la connaissance permet de faire évoluer la société d’une certaine façon, mais en même temps, l’université fait partie du système en lui-même et reproduit le modèle dans lequel elle est ancrée. » Financée par les pouvoirs publics, elle accomplit généralement ce que la société attend d’elle, et actuellement, ces attentes sont centrées sur la gestion des effets causés par les diverses activités humaines, plutôt que sur ses causes. « La remise en question de tout le système ne fait pas partie de ce qui est visé en termes de développement de la recherche », révèle-t-il.

Il existe toutefois des chercheurs plus marginaux, surtout en sciences humaines et sociales, qui proposent des approches novatrices sur des manières de repenser la société et l’économie, selon une approche fondée sur les communs ou la décroissance, par exemple. À l’UQTR, Étienne St-Jean observe les nouvelles cohortes d’entrepreneurs sociaux qui créent des OBNL, des coopératives et des entreprises d’économie sociale. « Je vois de très belles initiatives et des étudiants motivés à résoudre des problèmes sociaux et environnementaux, dit-il, mais ces projets s’insèrent souvent dans la même logique productiviste ou ont des portées transformatrices plutôt limitées ».

Pour porter les valeurs d’une société écologique, les écoles de gestion pourraient-elles réussir à se transformer jusqu’à renier leur penchant pour le consumérisme et la recherche du profit ? « En ce moment, il y a encore des étudiants qui veulent étudier la gestion parce qu’il y a des emplois dans ce domaine, dit Étienne St-Jean. Le besoin de formation est fonction du marché et des dynamiques économiques plus larges. L’université n’y échappe pas! ».

Les transformations radicales que requiert l’urgence climatique mériteraient une large mobilisation d’universitaires de différentes disciplines pour réfléchir à des solutions globales s’attardant directement aux causes. À cet égard, des mouvements tels le Regroupement Des Universitaires prennent la parole pour rappeler l’urgence climatique et l’importance de s’y attarder en priorité, et d’autres tels Manifeste Travail réfléchissent à des moyens pour démocratiser, démarchandiser et dépolluer le travail. « Même si tout n’est pas parfait, l’université demeure un acteur important pour transformer la société et affronter les enjeux auxquels nous faisons face », résume-t-il.

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