Alex Dorval – Société – octobre 2021
Le 17 septembre est le 21e jour de la grève de la faim de Jacinthe Comeau. La militante poursuivra sa grève aussi longtemps que Mme Laforest, ministre des affaires municipales et de l’habitation du Québec, ne reconnaitra pas qu’il y a bel et bien « crise » du logement. Rencontrée à quelques occasions à son campement devant le Centre hospitalier de Trois-Rivières (CHAUR), Mme Comeau nous explique pourquoi il est important pour elle que la politicienne « déclare l’état d’urgence » face à la pénurie de logements sociaux décents et abordables.
Des solutions sans crise ?
Reconnaitre la situation de « crise » ou « d’urgence » est une première étape simple et essentielle selon Mme Comeau : « Si on promet en période électorale des milliards pour la construction de logements abordables, on dirait bien qu’on apporte des solutions. Alors je m’explique mal que d’un côté, on ne reconnaisse pas qu’il y ait une crise, mais que de l’autre, on aille des solutions à proposer. Alors oui, c’est simple, la crise est bien réelle ! »
Est-ce que toutes les solutions sont bonnes ? Ce n’est pas si simple, mais ce n’est pas si compliqué non plus, nous dit la gréviste.
« Au début, je voulais surtout éviter que plus de gens se retrouvent à la rue avec les temps froids qui arrivent. Je proposais des abris temporaires comme on a vu récemment pour les réfugié.es. Des travailleurs de rue m’ont expliqué qu’ils proposent déjà des haltes de chaleur pour ça. »
Au-delà de la solution financière et de l’investissement dans le développement de logements, Mme Comeau aimerait voir des actions simples être posées à chaque palier, municipal, provincial et fédéral. Elle soutient que la déclaration de l’état d’urgence est très simple et salue également la volonté de certains politiciens d’instaurer une taxe sur la spéculation immobilière.
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Mission ou démission sociale
Originaire de Drummondville, Mme Comeau vivait à Trois-Rivières jusqu’en juillet dernier. Tannée d’avoir à se promener de logement en logement où on lui demandait des dépôts de garantie et des loyers de plus en plus chers pour des logements inconvenables, elle a simplement décidé d’adopter un mode de vie de militante nomade. « Je comptais vivre en survivaliste. » Puis elle a rencontré d’autres gens qui avaient abandonné l’idée même de se trouver un logement, dont un homme qui vivait dans un boisé. « Est-ce normal de laisser les gens vivre dans le bois ? », s’est demandé Mme Comeau.
Bien qu’elle ignorait à ce moment qu’elle allait se lancer dans une grève de la faim pour protester contre le déni politique face à la crise du logement, celle qui se dit « militante dans l’âme » cherchait depuis longtemps à mettre l’épaule à la roue dans la lutte contre la pauvreté.
« En défendant une cause, je me suis donné une mission sociale et personnelle », affirme-t-elle. Les témoignages solidaires qu’elle entend depuis le début ne cessent de lui rappeler à quel point la situation est critique, mais aussi, pourquoi elle doit continuer :
Une dame passe devant son campement pendant l’entrevue et lui demande si elle a trouvé « un homme qui voudrait l’héberger et saurait la gâter », juste avant d’ajouter qu’elle, en a trouvé un, mais qu’il lui « siphonne tout son argent » en échange. Mme Comeau explique que cette dame passe souvent depuis quelques jours et qu’elle a de gros problèmes directement reliés à sa recherche de logement.
Un jeune homme début vingtaine a appelé Jacinthe Comeau par son nom ce matin dans l’autobus, la remerciant, tout sourire, pour ce qu’elle fait pour des gens comme lui.
Un homme oscillant entre des logements indécents et l’itinérance l’a récemment invité à aller prendre un repas avec elle à la soupe populaire d’un centre d’hébergement. Elle pense bien honorer l’invitation une fois sa grève terminée.
À l’écouter, ce ne sont définitivement pas les exemples critiques qui manquent.
Force symbolique de la grève de la faim
« Quand on met une trop grosse part de notre budget dans notre loyer, on se retrouve à moins bien se nourrir. Est-ce normal de manger du cannage de chez Dollorama à longueur de semaine ? C’est là que ma grève de la faim prend son sens », fait valoir la militante.
Rencontrée au 20e jour de sa grève, Mme Comeau explique que le 21e jour est source d’espoir pour elle puisqu’il revêt une certaine symbolique dans le milieu militant. Gandhi aurait fait 14 grèves de la faim dont la durée maximale était de 21 jours.
En fin de journée, l’équipe d’Info-Logis Mauricie est venue s’informer de l’état d’âme et de la santé physique de Mme Comeau. Celle-ci est bien consciente qu’au-delà de 30 jours les conséquences physiques et psychologiques d’une grève de la faim s’intensifient. Elle se dit toutefois prête à continuer jusqu’à ce que son but soit atteint. « Je ne peux pas retourner dans la situation dans laquelle j’étais. Et je ne peux pas retourner marcher dans les rues et croiser tous les jours des gens dans le besoin qui vont m’interpeller, me quémander et me rappeler que rien n’est fait et que rien ne s’est amélioré », confie Mme Comeau, d’un ton empreint d’espoir et de révolte.