Réal Boisvert – Opinion – Novembre 2020
Rien ne permet de définir scientifiquement la notion de race nous rappelle le Petit Robert. Sauf qu’il y a des évidences auxquelles on ne peut pas échapper. Certaines personnes sont donc plus souvent victimes de racisme que d’autres si on entend par là que la discrimination et l’hostilité manifestées à leur groupe d’appartenance sont sans commune mesure avec ce que subit la population en général.
Partant de là, force est d’admettre que les personnes à la peau noire ont payé et paient encore aujourd’hui plus que leur dû en matière de racisme. L’histoire des États-Unis est particulièrement éloquente à ce sujet. L’esclavage, la ségrégation, les exactions commises par le Ku Klux Klan, les discriminations de toutes sortes, etc., tout ça laisse des traces. Il suffit de consulter les statistiques américaines concernant l’emploi, la santé et la justice. Les inégalités tuent à grande échelle, insiste la communauté scientifique, notamment en se référant aux travaux de Michael Marmot.
Toujours à l’avant-scène, les conditions de vie qui prévalent dans plusieurs communautés autochtones ne sont pas particulièrement édifiantes. Le régime apparenté à l’Apartheid dans lequel vivent les autochtones au Canada depuis 150 ans n’est pas étranger aux multiples problèmes de santé qui affectent plusieurs communautés. Fait à noter, il y a encore en 2020 un nombre significatif d’entre elles qui ont un accès restreint à l’eau potable.
Sur une note différente, petit détour en passant du côté de Sir Clifford Sifton, ministre de l’Intérieur du gouvernement canadien de 1896 à 1905. Ce dernier est connu pour avoir favorisé l’arrivée massive des immigrants en provenance de l’Europe de l’Est, de bien meilleurs colons selon lui pour les arides Prairies que les centaines de milliers de Canadiens français du Québec, forcés de s’exiler alors dans les filatures de coton de la Nouvelle-Angleterre. Le gouvernement du Canada n’a jamais levé le petit doigt pour stopper cette hémorragie. Dommage. Dans le cas contraire, le Canada compterait probablement aujourd’hui deux provinces francophones à l’ouest de l’Ontario.
Cela étant, il existe une forme de racisme dont on n’entend jamais parler. Un racisme subtil, tout en sourdine, un racisme qui est probablement plus systémique que tous les autres racismes et que le sociologue Pierre Bourdieu désigne comme étant le racisme de l’intelligence. De quoi s’agit-il ?
Le racisme de l’intelligence est une forme de discrimination basée sur la supériorité intellectuelle. Cette discrimination se fait passer comme étant innée et naturelle. Elle confère des titres et des privilèges qui seraient obtenus grâce à la possession d’un esprit supérieur. En réalité il n’y a rien de naturel là-dedans. C’est tout simplement une question d’héritage. Ces titres et ces privilèges ont été décrochés par des gens qui partent avec une longueur d’avance ; des gens qui entrent et évoluent dans le système scolaire avec un capital culturel supérieur à la moyenne et qui s’en servent habilement pour s’emparer très vite des premières places.
Prenons le cas des facultés de médecine, la plus emblématique des situations où, sous l’apparence du fait que le talent ferait foi de tout, sont recrutés en surnombre les fils et les filles de bonne famille. Ces facultés sont fortement contingentées par des mesures protectionnistes, des mesures analogues au contrôle de l’immigration, une riposte contre l’encombrement et l’envahissement par le nombre nous dit Bourdieu. À la base du numerus clausus québécois, la fameuse Cote R. C’est elle qui décide des admissions dans les programmes les plus prestigieux.
Comment douter que cette cote place l’ensemble des étudiants sur un flagrant pied d’inégalité ? Car une bonne note ne s’obtient pas qu’en y mettant de la bonne volonté. La réalité c’est que parmi tous ceux qui sont de bonne volonté, il n’y en a pas beaucoup qui ne manquent de rien. Et ce sont ceux-là qui réussissent le mieux, à tout coup, en laissant il est vrai passer à l’occasion entre les mailles du filet plus ou moins d’élèves au parcours atypique.
On ne s’étonnera pas dans les circonstances que le Docteur Stanley Volant soit, pour sa communauté d’origine, l’exception qui confirme la règle alors que, pour les jeunes appartenant à des milieux favorisés, la norme minimale est l’accès aux études universitaires.
Le racisme de l’intelligence a encore ici chez nous de beaux jours devant lui. Il suffit de voir à quel point la ségrégation des élèves, selon qu’ils fréquentent l’école privée, les établissements à vocation particulière ou les classes régulières, reproduit admirablement bien, sous le couvert d’une méritocratie de façade, les inégalités de conditions de ceux et celles qui fréquentent le système scolaire. En cassant cette dynamique, en revenant au principe d’une école mixte, universelle, égalitaire et portée en tout temps par la réflexion et l’esprit critique, on serait peut-être étonné de voir à quel point le racisme ne fait pas long feu dans un tel contexte.