Francis Bergeron – Histoire – juin 2021  Au début des années 1910, Trois-Rivières et plusieurs autres municipalités décident d’interdire la vente de boissons enivrantes sur leur territoire. Voilà l’aboutissement de campagnes actives menées par plusieurs générations partisanes des mouvements de tempérance, lesquels font la promotion de la modération, de l’abstinence d’alcool, et de la fermeture des bars et des tavernes[1]. C’est ainsi que Trois-Rivières devient « ville sèche » de 1915 à 1921[2]. En 1905, Mgr Bruchési, évêque de Montréal, lance une croisade de tempérance dans son diocèse afin d’éradiquer l’alcoolisme. Pour les partisans de la tempérance, l’alcoolisme est la principale source de tous les maux de la société. Selon Mgr Bruchési, « avec la tempérance, le paupérisme n’existerait plus qu’à l’état de souvenir »[3]. La croisade est prise en charge par les Franciscains et soutenue par tous les ordres religieux. Ce mouvement de tempérance s’inscrit dans un courant prohibitionniste qui a traversé périodiquement le Québec depuis 1840 et qui provient surtout des pays anglo-saxons, comme l’Angleterre et les États-Unis[4]. Après l’appel de Mgr Bruchési, la croisade évolue de plus en plus vers une prohibition presque totale dans la province du Québec. Seules quelques villes comme Montréal, Valleyfield et Saint-Hyacinthe parviendront à l’éviter[5], mais Trois-Rivières n’y échappera pas.

Commission des liqueurs, boulevard Sainte-Madeleine. dans l’ordre : inconnu, H.Trépanier, M.Biron, H.Lavergne, inconnu, H,Bourbeau Source: Société d’histoire du Cap-de-la-Madeleine, Fonds André Montplaisir, 1965, cote ph529

Les débuts de la prohibition à Trois-Rivières

En 1878, le gouvernement fédéral de John A. Macdonald adopte le Scott Act[6] offrant « aux gouvernements municipaux l’option locale de bannir la vente d’alcool[7] ». La responsabilité de la prohibition revient donc aux municipalités et non au fédéral. Le 1er décembre 1915, la municipalité trifluvienne tient un référendum de quatre jours sur l’adoption du règlement « prohibant les liqueurs enivrantes dans les limites de la cité des Trois-Rivières ». Le 2 décembre 1915, Mgr Cloutier, évêque de Trois-Rivières, accompagné de quelques prêtres de l’évêché, vote à l’hôtel de ville, où une foule l’ovationne dès son arrivée. Les fidèles se mettent même à genoux pour recevoir sa bénédiction. Ce fut une scène impressionnante selon Le Bien Public[8]. Le vote se termine le 4 décembre à midi et est adopté finalement le 9 décembre avec 461 voix d’avance sur un total de 2 671 votes enregistrés. Le vote féminin enregistre 417 voix, dont 398 pour ! Sa Grandeur Mgr Cloutier « dit que le succès de cette cause est d’abord dû d’une manière évidente à la prière, et [il] remercie nos communautés religieuses et les fidèles qui ont supplié le ciel avec tant de ferveur pour la réussite d’une cause juste et sainte[9] ». Au plus grand bonheur de Sa Grandeur, la prohibition est maintenant en vigueur à Trois-Rivières. Aucun débit de boisson ni vente d’alcool ne sont désormais autorisés dans la cité. C’est le régime sec pour tous les Trifluviens et Trifluviennes ! Pourtant, cela n’empêche pas l’apparition d’alambics et de débits clandestins dans la ville. Alors que la prohibition tire à sa fin, le 10 novembre 1920, au 162 de la rue Hertel, le restaurateur C. Dominique est arrêté par la police trifluvienne au motif de garder des liqueurs enivrantes pour vendre. La police confisque une bouteille de bière pour en faire l’analyse[10]. Le 24 décembre 1920, C. Dominique est arrêté une seconde fois pour le même délit. La police confisque alors un restant de bouteille de brandy pour analyse. Dans les deux cas, le motif de l’arrestation est : Illégalement gardé en dépôt, dans sa place d’affaires, des liqueurs enivrantes dans le but d’en opérer la vente ou d’en avoir vendu. Le restaurateur est reconnu coupable et doit payer deux amendes totalisant 400 $, ce qui équivaut aujourd’hui à environ 10 000 $[11]. Ce cas n’est pas isolé, puisque les archives de la cour des Sessions hebdomadaires de la paix révèlent plusieurs affaires similaires[12].

La fin du « régime sec » au Québec

Le 10 avril 1919, le gouvernement libéral de Lomer Gouin appelle la population québécoise à un référendum sur la prohibition. La population la refuse à 78,62 %[13]. Néanmoins, le règlement voté en 1915 demeure en vigueur ; les villes qui l’avaient adopté peuvent donc toujours interdire la vente d’alcool dans leur juridiction. Toutefois, les autorités municipales auront du mal à faire respecter ce règlement, puisque la police ferme souvent les yeux sur la vente illégale de boissons enivrantes[14]. Conséquemment, l’échec des municipalités à appliquer la prohibition justifiera l’adoption d’une nouvelle politique publique en 1921, la Loi sur les boissons alcooliques, qui crée du même coup la Commission des liqueurs du Québec, ancêtre de la Société des alcools du Québec (SAQ). Dans la foulée, la prohibition est abrogée le 1er mai 1921 partout au Québec. Depuis, aucune ville québécoise n’a pu désormais être affublée du sobriquet de « ville sèche » !

Bibliographie

Bernard, Joseph, « La votation du règlement », Le Bien Public, 2 décembre 1915, 7e année, p. 1. Bernard, Joseph, « La prohibition approuvée par le peuple », Le Bien Public, 9 décembre 1915, 7e année, p. 1. Bibliothèque et Archives nationaleS du Québec, « Cour “Petites sessions de la Paix” / “Weekly and Petty Sessions of the Peace” », Trois-Rivières, 1920, 10 novembre 1920. Bibliothèque et Archives nationaleS du Québec, « Cour “Petites sessions de la Paix” / “Weekly and Petty Sessions of the Peace” », Trois-Rivières, 1920, 24 décembre 1920. HAMELIN, Jean, gAGNON, Nicole et VOISINE, Nive (dir.), Histoire du catholicisme québécois, t. 1, Le XXe siècle 1898-1940, Montréal, Boréal Express, 1985, 508 p. Hallowell, Gerald. « Prohibition au Canada ». L’Encyclopédie Canadienne, 13 novembre 2020, Historica Canada. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/prohibition (page consultée le 20 mai 2021). HARDY, René, SEGUIN, Normand et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, 1136 p. Martel, Marcel, Une brève histoire du vice au Canada depuis 1500, Québec, Presses de l’Université Laval, 2015, 225 p. [1] Gerald Hallowell. « Prohibition au Canada ». L’Encyclopédie Canadienne, 13 novembre 2020, Historica Canada. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/prohibition (page consultée le 20 mai 2021). [2] C’est-à-dire les villes où la prohibition est en vigueur. [3] René Hardy, Normand Séguin et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 716. [4] René Hardy, Normand Séguin et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 716 ; cité par Jean Hamelin et Nicole Gagnon, Le XXe siècle, t. 1, 1898-1940, dans Nive Voisine (dir.), Histoire du catholicisme québécois, Montréal, Boréal Express, 1985, p. 199. [5] René Hardy, Normand Séguin et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 716. [6] Aussi appelé Loi de tempérance du Canada. [7] Gerald Hallowell. « Prohibition au Canada ». L’Encyclopédie Canadienne, 13 novembre 2020, Historica Canada. https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/prohibition (page consultée le 20 mai 2021). [8] Joseph Bernard, « La votation du règlement », Le Bien Public, 2 décembre 1915, 7e année, p. 1. [9] Joseph Bernard, « La prohibition approuvée par le peuple », Le Bien Public, 9 décembre 1915, 7e année, p. 1. [10] Bibliothèque et Archives nationales du Québec, « Cour “Petites sessions de la Paix” / “Weekly and Petty Sessions of the Peace” »,1920, 10 novembre 1920. [11] Bibliothèque et Archives nationales du Québec, « Cour “Petites sessions de la Paix” / “Weekly and Petty Sessions of the Peace” », Trois-Rivières, 1920, 24 décembre 1920. [12] Bibliothèque et Archives nationales du Québec, « Cour “Petites sessions de la Paix” / “Weekly and Petty Sessions of the Peace” ». [13] Bilan du siècle, La tenue d’un référendum sur la prohibition au Québec, [En ligne] http://www.bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/21367.html (page consultée le 20 mai 2021). [14] René Hardy, Normand Séguin et al. Histoire de la Mauricie, Sainte-Foy, Institut québécois de recherche sur la culture, Québec, 2004, p. 716.  

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