Denis Hébert
Louis Cornellier nous rappelle dans l’édition du 10 septembre du Devoir qu’il y a bientôt 40 ans qu’on agite l’épouvantail de la dette pour justifier les compressions dites nécessaires pour éviter la faillite de l’État, qu’on décrie la lourdeur et l’inefficacité de l’appareil étatique et qu’on nous vante les mérites de l’entreprise privée au secours de laquelle l’État est paradoxalement constamment appelé à voler.
Privatisation des institutions, sous-traitance, tarification et gestion inspirée du privé : autant de mesures ayant eu pour effet de rendre l’éducation plus conforme à la logique du privé. Conformément à cette optique de marchandisation de l’éducation, il faudrait maintenant pour faire face au défi de la compétitivité, organiser notre offre de formation pour obtenir une école soumise aux impératifs économiques et dépendante des demandes des différentes composantes de la société, plus particulièrement des parents. Le savoir ne serait rien de plus qu’outil pour agir, instrument pour réussir socialement, capital individuel pour accroître ses revenus futurs. Selon cette conception, l’école doit répondre à une clientèle qui, par son choix, est en mesure d’influencer en retour l’offre elle-même. De service public, l’école serait appelée à devenir une agence de services, chargée de satisfaire efficacement des consommateurs faisant valoir leurs intérêts particuliers. L’école tend ainsi à se privatiser, non pas nécessairement sur les plans juridique et financier, mais par sa transformation en un marché où la concurrence entre individus et, de plus en plus, entre établissements, devient la règle.
Or, le système d’éducation n’a pas pour mission de former de la main-d’œuvre, mais d’apprendre à tous les élèves à vivre ensemble harmonieusement, dans une société de plus en plus diversifiée; d’assurer le plein développement de chacun; de permettre au plus grand nombre de réussir; de donner à chacun des chances égales face au travail et à la vie. Avant d’être de la main-d’œuvre potentielle, les écoliers d’aujourd’hui sont des citoyens à part entière.
Il est de notre devoir comme société de nous assurer que toutes et tous, sans exception, ont accès à une éducation gratuite et de qualité dans un réseau public. Si l’individu bénéficie financièrement de son éducation, l’ensemble de la collectivité en fait autant par la plus grande productivité de celui-ci, ses contributions fiscales plus importantes, mais surtout, son aptitude à porter, transmettre et enrichir le patrimoine collectif. L’éducation publique est un puissant levier de démocratisation du savoir et une source d’amélioration des conditions sociales.
Au contraire, la mise des savoirs au service de la production, c’est-à-dire, des propriétaires des moyens de production, débouche insensiblement sur un abandon de la connaissance théorique, des humanités, de la philosophie et de la pensée critique, toute l’activité se retrouvant concentrée sur la pure formation de techniciens et de professionnels destinés aux technologies que les entreprises peuvent absorber. Cela pourrait conduire à réduire les possibilités de former des étudiants dans des domaines qui sont socialement souhaitables, mais pas financièrement lucratifs et à faire abstraction des avantages pour une société démocratique d’avoir une population bien éduquée et qui participe davantage aux débats de société. Le contre-exemple que nous donnent nos voisins du Sud nous en fournit une illustration éloquente.