Luc DrapeauLuc Drapeau, octobre 2017 La musique, j’en suis convaincu, a marqué invariablement un ou plusieurs moments de votre vie. De nos jours, les offres musicales viennent de partout et, si certaines profitent avantageusement des supports médiatiques mis à leur disposition, la plupart cherchent votre attention pour vous convaincre de tenter l’expérience et de venir à leur rencontre.  C’est le cas notamment de l’Orchestre symphonique de Trois-Rivières qui, cette année, présente une programmation fort diversifiée pour son 40e anniversaire. Au menu, huit concerts dans la série Grands concerts, 6 matinées en musique (idéales pour initier vos chers petits, et gratuites pour 12 ans et moins), le tout s’ajoutant au volet musique à l’Église Saint-James. Au cours de l’année, des conférences musicales et des causeries seront aussi présentées à la Maison de la Culture, de même que trois représentations de l’Ensemble Vocalys au séminaire Saint-Joseph et à la chapelle des Franciscains. Je vous invite à consulter la programmation complète sur le site Internet pour plus de détails. Second grand concert de la saison 2017-2018

Valérie Milot

Le 14 octobre prochain, Valérie Milot sera la tête d’affiche d’un spectacle unique offert dans le cadre du 40e anniversaire de l’OSTR. Toute une fleur pour cette harpiste qui a fait ses premières armes avec l’orchestre de Trois-Rivières en 2007. Crédits: Eve Leclerc – Studio Perspective

La première représentation des Grands concerts mettant en vedette Alain Lefèvre étant chose du passé au moment de lire cet article, nous avons décidé de mettre l’accent sur le deuxième concert de la série, présenté le 14 octobre prochain et mettant en vedette la Trifluvienne Valérie Milot. Cette musicienne, qui a été la première harpiste en 100 ans à obtenir le prix d’Europe en 2008, a chaleureusement accepté de nous parler de son expérience à l’OSTR ainsi que de sa carrière. Quoi de mieux pour vous présenter ce 40e anniversaire que de rencontrer celle qui a fait ces premières armes à l’OSTR en 2007 et qui ne cesse de tourner un peu partout dans le monde depuis, tout en continuant à s’enraciner à Trois-Rivières, où elle enseigne au conservatoire en plus de mener de front divers projets. Un attachement musical Du premier concert qu’elle a donné avec l’orchestre de Trois-Rivières à celui-ci, le parcours de Valerie s’est bonifié au fil de ses rencontres musicales. Mathieu Lussier, le chef invité pour le concert du 14 octobre, est un partenaire depuis des années, notamment parce qu’il a effectué une tournée avec elle et les Violons du Roy où il est un collaborateur de longue date. «On a une super complicité, c’est un artiste avec qui je partage beaucoup de points communs », affirme Valérie au sujet de Mathieu. Si Valérie Milot ne tarit pas d’éloges envers ceux avec qui elle partagera la scène, dont la flûtiste Caroline Séguin qui s’attaquera avec elle au Concerto pour harpe et flûte en do majeur de Mozart, elle insiste pour souligner le talent du compositeur canadien toujours actif Marjan Mozetich, avec qui elle a travaillé, et dont elle interprétera l’étonnant El Dorado, qui figure d’ailleurs sur l’un de ces derniers enregistrements, Orbis (que je recommande chaudement d’ailleurs). « Que l’OSTR me donne l’honneur de faire partie de cette programmation comme soliste, c’est une belle fleur. Je me sens privilégiée de célébrer avec mes pairs. L’orchestre a un cheminement exceptionnel pour un ensemble de cette ampleur. On est vraiment choyés d’avoir un joyau comme celui-là à Trois-Rivières. »Marjan Mozetich (1948 à nos jours) La « musique classique », ce terme devenu un fourre-tout dans lequel on enferme tout un pan de l’histoire musicale, révèle de l’automatisme tout comme penser pour le commun des mortels que les grands compositeurs sont unanimement décédés depuis belle lurette. « L’époque classique, c’est une petite période. C’est tellement différent d’aller voir le Messie de Haendel que l’ensemble contemporain de Montréal qui joue des compositeurs québécois, me confie Valérie Milot. Il y a un monde de différences. Il y a des choses super éclatées qui se font. Je pense qu’il faut juste s’intéresser et sortir. Moi, j’adore aller voir des concerts et des spectacles, et je suis très impressionnée par ce qu’on fait ici. On a tellement pas besoin d’aller loin parfois ». La pièce El Dorado pour harpe et cordes écrites par Marjan Mozetich, compositeur canadien d’origine slovène, est de plus de 200 ans la cadette du concerto pour harpe et orchestre de Mozart que jouera la harpiste le 14 octobre prochain. « C’est un grand privilège pour un musicien de pouvoir travailler avec le compositeur », affirme la harpiste. À l’instar des efforts de l’OSTR visant à bâtir une programmation qui satisfait ses habitués tout en tentant de rejoindre une nouvelle clientèle, mettre en dialogue ces deux époques (Mozart/Mozetich) est un fort bon début pour démystifier l’étiquette « musique classique », et peut-être s’enlever de la tête ce réflexe qui consiste à croire que cette musique appartient aux élites. D’Henriette Renié à… De ses débuts où elle commençait à écouter des pièces mettant en vedette la harpe, de ses premiers prix qui dénotent de sa virtuosité et de son engagement envers la musique et son instrument qui l’amènent jusqu’ici dans son parcours, Valérie n’a jamais cessé de marier le passé et le présent dans sa vie et à travers les œuvres qu’elle interprète. Sa première expérience en tant que soliste avec l’OSTR est forcément un grand moment : elle y avait eu le privilège d’y interpréter un concerto d’Henriette Renié (1875-1956), compositrice et harpiste méconnue. «En harpe, c’est notre Chopin, notre Rachmaninov. L’œuvre représentait un méga défi pour moi, parce que je crois que c’est le concerto le plus complexe à jouer. Ça m’a permis de me développer énormément et de faire découvrir cette musique au public », souligne Valérie. C’est ce qui l’amène à me parler d’un de ses nouveaux projets, dont un album sorti le 22 septembre et qui nous fait entendre un trio composé d’Antoine Bareil, violoniste et complice de toujours (il donnera d’ailleurs le concert hommage du 40e anniversaire de l’OSTR le 22 avril prochain), et de Stéphane Tétrault, violoncelliste et grand ami. Une œuvre d’Henriette Renié est encore à l’honneur que Valérie qualifie de « pièce de haute voltige d’une trentaine de minutes » et de « gros marathon que je rêvais de faire avec eux ». Elle ajoute à propos du projet : « Des fois, quand ce sont des compositeurs moins connus, les gens sont naturellement un peu moins attirés, mais c’est une musique qui vaut vraiment la peine d’être connue ». …Zappa, des projets qui se complètent. Orbis (qui signifie « Cercle » en latin), l’album de Valérie Milot assistée de ses nombreux collaborateurs sorti en 2016, vaut tout autant la peine d’être connu. La harpiste en donnera une représentation le 26 octobre à la salle Anaïs-Allard-Rousseau. Le spectacle se veut hautement technologique : Valérie sera entourée virtuellement d’une vingtaine de musiciens et de projections multidimensionnelles. Le choix des compositeurs (Mozetich, Reich, Zappa et Bareil, pour ne nommer que ceux-ci) et l’audace de la proposition scénique qu’elle y présentera marquent clairement une nouvelle étape dans le parcours de la musicienne. « Moi, j’ai besoin de ces projets assez différents qui se complètent et qui nourrissent différents aspects de ce que j’ai le goût de faire. Varier mon offre et varier mon plaisir est essentiel pour moi », explique-t-elle. Il est à noter que, parmi cette liste de compositeurs, seuls Frank Zappa (1940-1993) et John Cage (1912-1992), ces génies et esprits libres reconnus de leur vivant, ne sont plus parmi nous. Mais, réjouissons-nous, Edgar Varèse, idole de Zappa, ne disait-il pas : « The present-day composer refuses to die ». L’ouverture aux différents styles dont le progressif Alors que je souligne le fait qu’une pièce de l’album Orbis est tirée de l’album Missing piece de la formation Gentle Giant (1977), je demande à Valérie Milot si elle a un vieux « mononcle » adepte de musique progressive dans son entourage. « C’est moi  la vieille « matante progueuse », me répond-elle en riant avant d’ajouter : « Ce goût-là de la musique progressive, c’est mon conjoint Antoine qui me l’a donné. C’est une musique qu’il m’a fait découvrir et qui m’a accrochée. Le mariage entre quelque chose d’un peu plus populaire (guitare électrique, batterie) et un travail méticuleux qui s’apparente à ce qu’on fait m’interpelle beaucoup. À chaque écoute, je trouve quelque chose de nouveau qui m’accroche et qui vient chercher mes émotions. Beaucoup de musiciens de formation classique se retrouvent là-dedans. » Parfois, les mariages vont plus loin et, de nos jours, en raison de l’offre plurielle de musique, les frontières sont plus poreuses entre les styles. Ceux-ci, classique, contemporain, Jazz, métal, progressif, Art-Rock, Rock in opposition, se côtoient allègrement. Un compositeur tel que Steve Reich, âgé aujourd’hui de 80 ans, a réalisé une réécriture de deux pièces de Radiohead récemment. À une autre époque, Philip Glass en a fait de même avec des titres de Brian Eno et de David Bowie. L’an passé, l’époustouflant (au sens littéral du terme) saxophoniste basse Colin Stetson reprenait la 3e symphonie de Gorecki en petit ensemble apprêtée à la sauce Post-Rock. La violoniste Carla Khilstealt, comme certains autres musiciens, passe pour sa part aisément des univers métal, voire progressifs (Sleepytime Gorilla Museum), aux ensembles classiques et contemporains. Trey Spruance de la formation inqualifiable Secret Chief 3 vient de voir l’une de ses œuvres jouée par le Kronos Quartet et son initiative « Fifty for the futures. » « Dans la rue la musique » – Léo Ferré Ces mots lancés par Léo Ferré dans sa chanson Muss Es Sein? Es Muss Sein (cela doit-il être, cela est) répondent bien à la question lancée plus tôt dans celle-ci « Où est-elle, la musique ? ». Si le propos de Ferré était toujours un peu caustique, il n’en demeure pas moins qu’il soulevait des questions importantes : comme celle de la place que nous faisons à la culture dans notre vie et, plus largement, dans l’éducation. Au sujet de la place de la musique classique dans notre société, Valérie Milot s’avance en affirmant que beaucoup de faux problèmes sont mis de l’avant : « C’est vrai que l’achalandage dans les salles de spectacle est un problème majeur dans tous les styles. Les gens sortent moins et achètent moins de musique physique. On est en période de transition, mais l’intérêt pour la musique classique n’est pas mort. Il faut adapter le concert à la vie actuelle tout en faisant attention de ne pas vendre ce que ce n’est pas. Je pense que c’est comme développer son goût pour les aliments et les saveurs. Avec le temps, on développe des goûts plus complexes. » « La musique se meurt, Madame ? Penses-tu! La musique ? Tu la trouves à la polytechnique, entre deux équations, ma chère! Avec Boulez dans sa boutique, un ministre à la boutonnière. Dans la rue, la musique ! », revendiquait Ferré. Valérie Milot, qui a réalisé beaucoup d’ateliers dans les écoles et qui est appelée, il va sans dire, à défendre à titre professionnel et personnel le volet culturel lié à sa profession, persiste dans sa position : « Le problème n’est pas dans l’intérêt des jeunes, mais dans les possibilités qu’on leur donne de s’y intéresser. Il reste beaucoup de choses à faire en l’éducation. Pas pour en faire nécessairement des musiciens, mais pour leur donner de la culture et en faire des êtres humains avertis, beaucoup plus impliqués dans leur société ». La musicienne affirme que cette question lui tient à cœur et souhaite s’y impliquer davantage dans le futur. Nommée professeur au Conservatoire de Trois Rivières, ainsi qu’à celui de Montréal, elle espère que ces titres vont l’aider à avoir plus d’impact dans le message qu’elle veut porter. Nous ne pouvons que nous réjouir de l’engagement de Valérie Milot dans son art et au-delà de celui-ci ici, et partout où elle nous représente. Pourquoi ne pas finir cet entretien en citant celui qu’elle nomme comme représentant « un idéal d’artiste », Frank Zappa : « Je pense qu’un pays qui ne fait rien pour faire vivre sa culture, quelle qu’elle soit, qui n’investit pas en elle, ne la stimule pas et n’en est pas fier devrait peut-être simplement ne pas exister. Parce que c’est la culture et toutes les belles choses que la société produit qui devraient survivre durant des millénaires, pas les Jeans et les hamburgers ».


Suggestions musicales que m’inspire l’écoute de l’album Orbis Pour ceux qui ne connaissent pas Frank Zappa et qui risquent de faire une crise d’apoplexie en se retrouvant devant sa discographie débordante, je propose le documentaire Eat This Question: Frank Zappa in His Own Words de Thorsten Schütte sorti en 2016. Pour ceux qui seraient tentés de continuer leur exploration de la harpe hors du classique, je vous propose d’écouter le deuxième album de Joanna Newsom, Ys. Musique très intéressante, voix très singulière par contre qui ne plaît pas à tout le monde. Et pour un petit clin d’œil au Québec, je propose d’écouter Esmerine, cette formation montréalaise fondée par le percussionniste Bruce Cawdron (Godspeed you! Black Emperor) et la violoncelliste Rebecca Foon (Thee Silver Mt. Zion).

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