Ce texte est écrit dans le cadre du projet Citoyen.ne.s du monde et de chez nous qui est une réalisation du Comité de Solidarité/Trois-Rivières. Ce projet est rendu possible grâce à la contribution de Service jeunesse Canada. Baptiste Delas, novembre 2019 Le centre-ville est calme, la nuit est déjà tombée sur Trois-Rivières en ce lundi soir. Seuls les cris de liesse de quelques-uns se font entendre dans la rue. C’est un groupe d’une quinzaine de militants qui pousse les portes du Nord-Ouest Café, en ce soir d’automne. L’ambiance est à l’euphorie. On se serre dans les bras, on trinque nos verres à la victoire. Ce soir, nous avons tous laissé de côté les révisions, le repas en famille, pour aller fêter la nouvelle qui est tombée par communiqué une heure plus tôt : ProjetBécancour.ag est abandonné. Je m’appelle Baptiste, j’ai 20 ans, et j’étais présent ce soir-là. Comme des centaines de citoyens en Mauricie et ailleurs, j’ai participé à la lutte engagée pour empêcher la construction de cette usine d’urée et de méthanol à Bécancour, dont les émissions de gaz à effet de serre se seraient élevées à environ 630 000 tonnes par an, rien que pour la production. Cette lutte, elle a avant tout été portée par Alternatives Bécancour, une coalition de groupes écologistes et de citoyens. Ils se sont alarmés à l’annonce du projet d’usine. En poussant leurs recherches et en s’appuyant sur les commentaires des scientifiques comme Marc Brullemans, ils ont vite constaté que les effets néfastes étaient très nombreux. Empressés d’agir, ils ont fait le tour des conseils municipaux, des MRC, pour alerter élus et citoyens de la menace écologique que représentait ProjetBécancour. Ils se sont heurtés parfois à l’indifférence, au travail de désinformation déjà mené par les lobbyistes et au cynisme de ceux qui justifiaient la pertinence du projet par les emplois éventuellement créés ou les retombées économiques potentielles. Certaines personnes n’arrivaient tout simplement pas à la même conclusion que nous; ce projet d’usine était digne d’une autre époque. Il ne s’agissait pas d’une avancée, mais d’une régression collective. Les membres d’Alternatives Bécancour ont aussi eu droit au soutien discret puis, progressivement public de quelques élus, puis du soutien de quelques citoyens comme moi, qui ont continué le chemin à leurs côtés. L’élan de sympathie grandissait à vue d’œil. Puis, tout s’est accéléré à la fin de l’été. Repartis de plus belle après le calme estival, nous avons multiplié les rencontres et les lettres ouvertes. Nous avons avancé conjointement avec les autres groupes écologistes en ayant toujours cette phrase en tête : « si cette usine s’implante, c’est une catastrophe ». La semaine précédant l’abandon du projet d’usine, nous avons fait un pas de géant en publiant une pétition sur le site de l’Assemblée nationale. La même semaine, lors de la marche historique du 27 septembre pour le climat, galvanisés par les plus de 4000 Trifluviens et Trifluviennes présents, Véronique Houle, infirmière engagée depuis la fondation d’Alternatives Bécancour, dénonçait le projet en ma compagnie sur la scène prévue à la fin de la marche. Au même moment, François Poisson, un des membres fondateurs du collectif, s’adressait à la foule rassemblée à la manifestation de Victoriaville. Serait-ce un hasard si, le lundi suivant, les promoteurs mettaient un terme au projet d’usine d’urée et de méthanol par voie de communiqué? Ceux-ci indiquaient avoir pris cette décision en raison de l’impossibilité d’arriver à un prix ferme pour la construction. Nous ne saurons jamais si nous y sommes pour quelque chose. Reste en nous l’intuition profonde d’avoir pesé dans la balance, d’avoir joué un rôle dans tout cela. Les victoires sont éloignées les unes des autres, alors il nous faut en profiter. Que faire maintenant ? Se reposer pour l’instant, mais repartir rapidement défendre la vie sur Terre. Car il reste des projets à combattre (ex. GNL Québec), et des projets à soutenir (ex. PureSphera). Si nous échouons à nous lever, nos enfants ne nous le pardonneront pas.