Ariane Gélinas – Le Sabord – février 2022 Le texte « Douce promenade » vient de paraître dans le plus récent numéro du Sabord, consacré au thème Monuments. Nous avons rencontré l’écrivain Adis Simidzija afin de discuter de la genèse de ce récit, qui paraît peu de temps après la réédition en format poche de son livre L’enfant exilé de la vallée des arbres sucrés (DLDR). Texte autobiographique, « Douce promenade » s’inspire de la guerre de Bosnie-Herzégovine, au cours de laquelle le père de l’auteur s’est fait assassiner. Simidzija raconte: « En 2017, je suis retourné à Mostar, ma ville natale. Dans mon quartier, il y a une plaque commémorative, une sorte de monument qui rend hommage aux personnes assassinées. En explorant la ville, je me suis demandé si cette plaque commémorative n’était pas de trop dans ce paysage en ruine. Devrions-nous laisser les morts dans les cimetières plutôt que de les exposer au vu et au su de tous, en plein cœur d’un quartier qui peine à guérir ? »
Des chapitres du livre de l’humanité
Cette réflexion sur les monuments est la clé de voûte de la création de l’écrivain de la relève. Le thème Monuments l’a visiblement beaucoup inspiré : « Les monuments font réagir. Ce sont des fragments d’histoire. Je les vois comme des chapitres du livre de l’humanité. Un livre qu’on ne lit jamais jusqu’au bout. Les monuments nous racontent toujours quelque chose de partiel. Je n’aime pas les monuments, ils sont trop ostentatoires. Ils nous avalent. Ce qui m’intéresse davantage, c’est ce que les monuments ne disent pas. Ce qu’ils cachent de notre rapport au monde. Certains monuments me font violence. C’est donc, paradoxalement, de mon opposition aux monuments que me vient l’inspiration. J’aime les détester. » Nous sentons fortement ce contraste, cette tension, dans « Douce promenade », récit en phase avec la démarche artistique d’Adis Simidzija, doctorant en lettres et personne très impliquée dans sa communauté, notamment via Des livres et des réfugiés, OBNL dont la mission est de faciliter l’intégration sociale et scolaire d’enfants réfugiés. Et à quoi peut-on s’attendre du côté des projets à venir d’Adis Simidzija ? Il nous confie qu’il « est tenté par le théâtre et aimerait adapter son roman L’enfant exilé de la vallée des arbres sucrés en pièce. Le spécialiste en écrits intimes – il fait partie du laboratoire des récits du soi mobile – a également commencé l’écriture d’un roman. Il y explore son rapport à la paternité : « C’est un roman autofictionnel dans lequel je m’adresse autant à l’enfant que je suis qu’à celui que j’aurai un jour. Un roman dans lequel je tente de départager ce qui appartient au premier de ce qui appartiendra au second. Comme une berceuse à la paternité. » Ce projet déploiera sans contredit le talent du jeune écrivain, déjà à l’œuvre dans son premier livre et dans sa récente publication dans Le Sabord. Une invitation à se promener dans les non-dits et les contrastes vifs.– Extrait – Mon cœur danse au rythme des mitrailleuses tandis que mes orteils enlacent les cendres de ma ville. À ma gauche se déploie une vallée infinie d’arbres sucrés, à ma droite les gratte-ciel souffrent de trous de mémoire. Par intermittence je m’arrête pour prendre une grande respiration. Le son de mitrailleuses est remplacé par le bourdonnement des touristes venus admirer le Stari Most, ce vestige du XVIe siècle, détruit en 1993 et ressuscité en 2004. “Il y a vingt-cinq ans que papa a été assassiné, et moi je marche dans cette ville qui ne me reconnaît plus, à essayer de lui dire quelque chose dans une langue qu’il ne comprend pas. Entre lui et moi, il y a plus que l’espace physique. Entre lui et moi, il y a plus que la mort. Entre lui et moi, il y a un malentendu.” Lisez la suite de « Douce promenade » dans Le Sabord #120, en kiosque maintenant !