Illustration : Boris

Un article de Radio-Canada du 13 octobre dernier faisait état de manière quasi triomphante du fait que le nouveau quartier Trois-Rivières sur Saint-Laurent générait pour la Ville de Trois-Rivières des revenus fiscaux de 1,5 millions de dollars par année. Une rondelette somme harnachée au prix d’avoir transformé un emplacement emblématique de Trois-Rivières, au confluent du Saint-Laurent et de la rivière Saint-Maurice, en une mer de condos exclusifs où la vie de quartier et les rires d’enfants que l’on aurait espérés résonnent aujourd’hui comme un grand silence sur les ruines de la Canadian International Paper. Un site aux mille possibilités de mixité sociale, d’espaces verts, d’odeurs de café ou de pain, de rencontres, gâché par une vision capitaliste et aseptisée de l’aménagement. 

Les statistiques sur l’habitation montrent qu’en octobre 2023, le taux d’inoccupation des logements était de 0,4 % à Trois-Rivières et de 0,7 % à Shawinigan. Nous sommes très loin d’un marché de l’habitation en équilibre avec un taux d’inoccupation qui devrait se situer autour de 3 %. Comment, dès lors, faire en sorte que les terrains vacants de nos villes et de nos villages contribuent à combattre efficacement la crise du logement tout en créant des milieux de vie inclusifs?

Très récemment, des incendies majeurs ont détruit, sinon gravement endommagé des édifices à logements à Trois-Rivières et à Shawinigan. Les personnes touchées vivaient une situation précaire et, qui plus est, la mort y a prélevé un lourd tribut. Où ces personnes vont-elles pouvoir se reloger?

S’adressant aux personnes qui en ont les moyens, la publicité vante les mérites de vivre en condominium dans un environnement sain et agréable et avec tous les services à portée de main. À l’autre bout du spectre se retrouvent des gens plus vulnérables, incapables d’absorber les hausses de loyer ou même de se trouver un appartement mais aussi les jeunes et une bonne partie de la classe moyenne pour qui l’accès à la propriété semble être devenu un rêve lointain. Et ce n’est pas la première fois que cela arrive dans l’histoire du Québec contemporain.

En 1982, alors qu’une récession mondiale sévissait et que les taux d’intérêt dépassaient 20 %, le gouvernement québécois, accompagné de partenaires financiers, syndicaux et patronaux, avait mis sur pied, le programme Corvée-Habitation. Une initiative qui, garantissant un taux hypothécaire beaucoup moins élevé pour les acquéreurs, a permis un net redémarrage de la construction résidentielle.

Dans le contexte actuel, une Corvée 2.0 est proposée par plusieurs intervenants pour relancer la construction de logements sociaux et abordables avec un financement provenant de plusieurs institutions québécoises (caisses de retraite, fonds de travailleurs et travailleuses, etc.). À ce projet s’ajoute un bouquet de solutions novatrices qui ont le mérite de permettre l’accès au logement ou à la propriété à des ménages à revenu moyen et modeste.

La Fiducie foncière communautaire (FFC – Community Land Trust) constitue un de ces modèles alternatifs et innovants. Dans ce modèle, un organisme à but non lucratif acquiert des immeubles ou des terrains, les sort du marché afin de les protéger contre la spéculation, tout en maintenant le prix des logements abordable à long terme. Quelques-unes de ces fiducies existent au Québec, allant de la taille d’un quartier jusqu’à une municipalité régionale de comté. Au Canada, les 41 FFC recensées regrouperaient environ 10 000 unités de logement. À titre comparatif, de 20 % à 25 % du parc locatif de la ville de Burlington au Vermont est considéré hors marché.

Autre mesure encore peu connue mais en émergence rapide pour favoriser le logement social et abordable: la fiducie d’utilité sociale (FUS). À la différence de la Fiducie foncière communautaire les FUS englobent le patrimoine urbain, culturel, etc. Si, pour l’heure, elle est principalement appliquée dans le secteur agricole, il reste que le  domaine de l’immobilier social s’y prête parfaitement.

Au Québec ; la plus connue est la Société de développement Angus de Montréal. Dans cet ancien quartier industriel autrefois propriété du chemin de fer Canadien Pacifique, on a imaginé un milieu de vie où coexistent aujourd’hui 75 organisations et commerces, 210 condos écologiques, 75 condos familiaux à prix abordable, 120 logements étudiants, 80 logements sociaux, et un grand parc central où les plateaux de tennis et de volleyball côtoient les modules pour enfants. Favoriser la mixité, c’est cela!

Il existe aussi d’autres modèles en habitation qui ont en commun de répondre aux enjeux de logements abordables. Des organismes à but non lucratif sont, sur une base locale ou régionale, spécialisés en habitation permettant la réalisation de projets visant une clientèle à faible ou modeste revenu. En Mauricie et au Centre-du-Québec, on comptait, en 2023,  59 organismes de la sorte, lesquels gèrent un parc immobilier totalisant 2 000 logements. Les 46 coopératives d’habitation de nos deux régions et leurs 700 logements constituent également un autre modèle intéressant. 

Ce sont là des initiatives concrètes, loin du logement comme outil de spéculation, comme machine à faire de l’argent. Et que dire de l’exemple éloquent d’Habitation adaptée et supervisée (HAS) des Chenaux initié par l’Association des Personnes Vivant avec un Handicap  Des Chenaux (APEVHA) : l’église de Ste-Geneviève de Batiscan est en voie de devenir un  immeuble de 18 logements destinés aux  jeunes adultes handicapés.

Ces initiatives à la fois citoyennes et communautaires ne sont pas le fruit du hasard et ne réduisent en rien la responsabilité de nos gouvernements. Ainsi, s’il y avait un projet de société à proposer pour le Québec, ce serait de passer collectivement à l’action pour que chacun ait un chez-soi accessible et sécuritaire lui permettant de s’épanouir. Et de créer des espaces de vie mixtes et dynamiques au lieu d’ériger des tours d’ivoire.

 

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