Carol-Ann Rouillard, octobre 2019
Le débat sur l’avortement a refait surface à l’aube des élections fédérales. Il faut dire que le contexte social s’y prête bien : l’adoption de lois très contraignantes aux États-Unis et l’implication de groupes anti-avortement dans l’élection fédérale, le tout à la veille du 30e anniversaire de la bataille juridique de Chantal Daigle – cette femme qui souhaitait avorter malgré le désaccord de son ex-conjoint.
Après le cafouillage au Parti conservateur entre la position réelle du chef sur le sujet et celle qui avait été présentée à des candidates québécoises, les libéraux se sont évidemment empressés d’utiliser cette situation à leur avantage en associant le parti d’Andrew Scheer à une époque et des valeurs rétrogrades.
Certains prétendent qu’il n’y a pas lieu de s’en faire puisqu’une loi anti-avortement n’est pas près d’être adoptée au lendemain des élections fédérales, quel que soit le parti qui sera élu. Certes, le Parti libéral a ainsi choisi d’instrumentaliser la peur à des fins électorales. Cela signifie-t-il pour autant que cette peur soit injustifiée ?
Le contexte mondial et l’histoire nous ont démontré à maintes reprises que les droits humains ne sont jamais acquis. Et les droits des femmes sont loin d’y faire exception. Certes, des avancées ont été enregistrées à travers le monde au cours des dernières années, mais la montée des idées d’extrême-droite et l’élection de gouvernements qui valsent avec ces idées ont aussi pavé la voie à des reculs.
Si la droite n’est pas reconnue pour positionner l’égalité des genres au cœur de ses priorités, l’extrême-droite est loin d’avoir cherché à inverser les cartes. Et plusieurs leaders – Trump et Bolsonaro viennent rapidement en tête – entretiennent souvent des préjugés sexistes et misogynes et bénéficient d’imposantes tribunes pour diffuser leurs idées, ce qui n’aide en rien à changer les mentalités !
Le Canada n’échappe pas à l’influence de ces idées. L’élection de gouvernements plus à droite – conservateur ou caquiste –, la formation du Parti populaire du Canada et la montée des discours populistes en sont des preuves. Sur la question spécifique de l’interruption de grossesse, l’implication de militantes et de militants anti-avortement dans la campagne de personnes candidates aux élections fédérales soulève également des questions.
Et même si des lois plus restrictives en matière d’avortement ne sont pas adoptées au cours du prochain mandat fédéral, le contexte polarisé sur la question de l’avortement ne constitue certainement pas un contexte favorable à des investissements qui permettraient d’assurer un meilleur accès à des cliniques d’avortement – toujours très inégal selon les régions – ou à réduire le temps d’attente avant une interruption de grossesse. Tout comme la décriminalisation de l’avortement ne s’est pas forcément traduite par un accès rapide et équitable à des services partout au pays, l’absence de recul législatif ne signifie pas qu’il n’y a pas de recul possible ou que le contexte social actuel n’est pas une forme de retour en arrière.