Alain DumasAlain Dumas, avec la collaboration de Jean-Marc Lord  – Économie – Février 2021  En économie, certaines croyances non-fondées vivent parfois trop longtemps. S’il en est une qui mériterait assurément d’avoir fait son temps, c’est bien celle de l’économie du ruissellement. Cette théorie stipule qu’en concentrant l’argent en haut de l’échelle sociale, celui-ci finit par ruisseler chez les moins nantis (au bas de l’échelle). La première référence à l’effet de ruissellement (« trickle-down effect ») vient de l’humoriste américain Will Rogers qui se moquait des baisses d’impôt accordées aux riches par le président Hoover en 1928. Il affirmait ceci : « M. Hoover était ingénieur. Il savait que l’eau ruisselait. Mais il ne savait pas que l’argent ruisselle toujours vers le haut. »[1] Selon le raisonnement de la théorie du ruissellement, les baisses d’impôt accordées aux plus riches et aux grandes entreprises stimuleraient l’investissement productif (tel l’achat d’équipements) et la croissance économique, de sorte que cette richesse créée finirait « logiquement » par ruisseler jusqu’au bas de l’échelle sociale sous forme d’emplois et de hausses de salaires. La théorie du ruissellement fut heureusement désavouée au cours des trente années qui suivirent la Deuxième Guerre mondiale. Au cours de cette période (1945-1974), qualifiée des Trente glorieuses, l’État a joué un rôle important dans la stabilisation de l’économie et dans l’atteinte du plein-emploi, notamment en instaurant un système d’impôt progressif qui contribua à réduire les inégalités.

Retour de l’idée du ruissellement

Mais la théorie revient pourtant en force au milieu des années 1970, alors que la crise du pétrole provoque simultanément une forte inflation et une récession. C’est dans ce contexte que des économistes, dont l’ultra-libéral Milton Friedman, mettent faussement l’État au banc des accusés et réhabilitent l’économie du ruissellement. Baisser les impôts devient donc le mot d’ordre. L’idée du ruissellement a d’abord été reprise par le Républicain Ronald Reagan (1981-1988) qui diminue du tiers l’impôt des plus hauts revenus et des grandes entreprises. Puis le Canada et le Québec iront dans le même sens, de sorte que le taux d’imposition de la plus haute tranche de revenu baissera du quart entre 1988 et 2015, et que le taux fédéral d’imposition des grandes entreprises passera de 36 % en 1980 à 15 % en 2012. 

Une théorie zombie

Que ce soit au Canada, aux États-Unis ou ailleurs dans le monde, l’application de la théorie du ruissellement n’a pas tenu ses promesses. Depuis les années 1980, les 1 % les plus riches de la planète ont capté 27 % de la richesse créée, alors que les 50 % plus pauvres en recevaient seulement 12 %[2]. Force est donc de constater que le ruissellement est une théorie zombie, car les baisses d’impôt des mieux nantis ruissellent toujours vers le haut de l’échelle sociale. Si le ruissellement vers le bas ne fonctionne pas, c’est parce que les baisses d’impôt servent avant tout à enrichir les actionnaires des entreprises cotées en bourse, et non pas l’investissement productif. Une récente étude montre que les baisses d’impôt de Trump ont permis aux grandes entreprises d’allouer 1 315 milliards de dollars aux rachats d’actions et aux versements de dividendes en 2018, soit une hausse de 40 % par rapport à 2017[3]. Enfin, non seulement l’économie du ruissellement creuse les inégalités, mais elle freine aussi la croissance économique. C’est ce qu’ont démontré à de nombreuses reprises le FMI et  l’OCDE[4]. Dans une vaste étude portant sur 150 pays au cours d’une période 50 ans, le FMI a montré que la hausse des inégalités engendre toujours une croissance économique plus faible[5]. Alors que les gouvernements se demandent comment ils assainiront les finances publiques après la crise actuelle, ils doivent assurément mettre la théorie du ruissellement à la poubelle, écarter toute forme d’austérité et envisager des hausses d’impôt des mieux nantis et des grandes entreprises prospères. Sources [1]Will Rogers, And Here’s How It All Happened, November 26, 1932, St. Petersburg Times. Tiré de Kathy E. Gill, Will Rogers on “trickle up” economics,30 January 2015 (https://wiredpen.com/2015/01/30/will-rogers-trickle-economics/). [2]FacundoAlvaredo Lucas Chancel, Thomas Piketty, Emmanuel Saez, Gabriel Zucman, Rapport sur les inégalités mondiales, Laboratoire sur les inégalités mondiales, Wid.world, 2018, 17 pages. [3] Pierrick Fay, Les rachats d’actions vont atteindre des records à Wall Street, Les Échos, 2 mai 2018. [4] OCDE, Tous concernés : pourquoi moins d’inégalité bénéficie à tous, 2015, 368 pages. [5] Jonathan D. Ostry, Andrew Berg, and Charalambos G. Tsangarides, Redistribution, Inequality and growth, IMF Staff Discussion Note, February 2014, International Monetary Fund, Washington, DC, 30 pages.

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