La Chambre des Communes du Canada étudie actuellement la Loi sur la protection des collectivités et des personnes victimes d’exploitation. Adoptée en 2014 par le gouvernement conservateur, cette loi encadre non seulement l’exploitation, comme son nom l’indique, mais elle vient surtout criminaliser l’achat de services sexuels entre adultes consentants. Ayant comme objectif ultime de mettre fin à la prostitution, elle s’inspire directement des approches dites « abolitionnistes » déployées notamment dans les pays du nord de l’Europe.
Hausse de la transmission du VIH et de la violence
De nombreuses études ont toutefois démontré l’inefficacité de l’approche répressive pour abolir le travail du sexe ou protéger la santé des travailleurs(-ses). Au contraire d’autres recherches démontrent que la décriminalisation complète du travail du sexe permettrait de réduire de façon importante la violence subie par les travailleurs(-ses) ainsi que les infections au VIH, notamment grâce à un meilleur accès aux services sociaux et de santé.
C’est d’ailleurs en se basant sur ces données probantes que l’Organisation des Nations Unies, via son programme ONUSIDA – coordonné entre autres par le Canada –, recommande la décriminalisation de tous les aspects du travail du sexe comme mesure cruciale de lutte au VIH. Chez nous, l’Association canadienne de santé publique avait aussi demandé au gouvernement Trudeau, après son élection en 2015, d’abolir cette loi, puisque le parti Libéral s’était opposé à son adoption en 2014.
Criminalisation : des effets locaux bien concrets
Un des enjeux principaux de la loi actuelle tient au fait qu’on tente d’assimiler toute forme de travail du sexe à de l’exploitation. Caroline Gravel en sait quelque chose : elle est directrice adjointe chez Tandem Mauricie, un organisme œuvrant auprès des travailleurs(-ses) du sexe. Elle soutient qu’« il faut vraiment départager les deux et sortir de cette ancienne école de pensée réfléchie essentiellement par des hommes et teintée par la religion. Des femmes qui veulent faire ce métier-là, qui l’apprécient et qui sont en contrôle, il y en a. Quand on les côtoie, on le sait, mais en niant cette réalité-là, on vient leur enlever de l’empowerment, on les diminue ».
Comme plusieurs autres partenaires communautaires et institutionnels actifs dans ce domaine, son organisme n’a pas été mis au fait de la tenue des consultations sur la loi, qui se terminaient le 22 mars dernier. Elle en aurait pourtant eu long à dire, voyant au quotidien ses conséquences depuis 2014 : « Les clients étant désormais criminalisés, ils sont devenus plus frileux. À Trois-Rivières, on voit beaucoup moins les travailleuses dans la rue. Mais les interactions se font toujours, juste de manière plus cachée. Le résultat est que les travailleuses ont perdu du pouvoir de négociation, par exemple pour le port du condom ou le mode de paiement. » Le travail se ferait aussi davantage dans l’ombre, en ligne : « Avant, les travailleuses se faisaient des black lists dans des groupes privés sur Facebook. On pouvait par exemple y voir des descriptions de clients violents et de leurs voitures, pour que les autres travailleuses puissent les éviter. Depuis 2014, ces groupes d’entraide ont disparu. »
Lis aussi: Violence conjugale : Ce qui t’attend dans un centre d’hébergement pour femmes
Vers un changement de paradigme ?
Les partis d’opposition avaient voté contre la loi conservatrice lors de son dépôt en 2014, le parti Libéral avait même affirmé qu’elle enfreignait la Charte des droits et libertés. Portés au pouvoir l’année suivante, les libéraux ont toutefois finalement décidé de la maintenir. Les prochains mois seront donc déterminants pour les travailleurs(-ses) du sexe, car le gouvernement aura à trancher entre le maintien de l’approche conservatrice abolitionniste, qui plaît certainement à un certain électorat, et le retour à l’ancienne approche de santé publique appuyée par la science.