Soraya Kettani – Opinion – novembre 2021
Les Canadiennes et les Canadiens ont peut-être déjà oublié l’intense fébrilité du mois de septembre dernier qui couvrait les élections fédérales, mais le discours du Trône, la cérémonie d’assermentation du Conseil des ministres du 26 octobre, ainsi que la rentrée parlementaire du 22 novembre prochain viendront sûrement leur rappeler la fameuse phrase « tout ça pour ça ? ». Cette formule, reprise en chœur ici et là, est de mise après l’élection d’un autre gouvernement minoritaire résultant de l’une des campagnes les plus coûteuses de l’histoire élective. Rappelons que ce nouveau gouvernement minoritaire est tout de même celui que les Canadiennes et les Canadiens ont élu, parmi les potentiels autres gouvernements minoritaires qui auraient pu se former.
Que nous dirait l’histoire ?
Sur les 44 élections qu’a connues le pays, 14 ont été remportées par des gouvernements minoritaires, dont 4 sur les seules élections des dernières années. Si nous considérons qu’en 1867, le scrutin durait plusieurs semaines, voire plus d’un mois, et qu’il soit aujourd’hui annoncé que le nombre de sièges à la Chambre des communes passera dès 2024 de 338 à 342 sièges pour s’ajuster aux changements de la population canadienne, il est tout à fait légitime de poser aussi l’hypothèse que de plus en plus de gouvernements au Canada seront minoritaires.
Mais qu’est-ce qui nourrit cette hypothèse ?
Le fait que le filet des politiques sociales devienne de plus en plus le rite de passage électoraliste. Cette tendance est d’ailleurs à l’origine de l’émergence de nouveaux partis, considérés comme des partis de « niche » et/ou de « région ». Ils deviennent avec le temps de plus en plus fort en nombre et de plus en plus efficace en termes d’offre. Une offre qui fragmente les discours électoraux — de plus en plus proches des attentes et des souffrances des citoyens — et perturbe la linéarité de vote. Ainsi, les choix électoraux sont devenus de moins en moins prédictifs, loyaux et idéologiques, pour devenir de plus en plus volatiles et sensibles.
En termes de réalité pragmatique, les gouvernements minoritaires se trouvent rassurés par le fait avéré qu’ils peuvent continuer à gouverner. Le nombre de lois passées entre les derniers gouvernements majoritaires et minoritaires ne fait pas vraiment la différence. Même si les gouvernements minoritaires n’apprécient pas les contraintes que constituent les négociations avec les partis d’opposition — de plus en plus serrées et de plus en plus nombreuses —, celles-ci font désormais partie du tableau. Il s’agit d’un changement majeur, car cette forme de procédure était inhabituelle dans notre pays, de tradition parlementaire britannique. Elle est plus proche des gouvernements de coalition, comme on peut l’observer en politique européenne, par exemple.
Ce qui incommode les gouvernements minoritaires est pourtant ce qui favorise leur prospérité
Paradoxalement, les désagréments des gouvernements minoritaires sont à leur avantage. Ils leur accordent une meilleure popularité en leur imposant de négocier des consensus avec des partis tiers, autour des politiques sociales qui font en général l’essentiel de l’offre la plus consistante des partis de gauche avec qui ils sont obligés de négocier. Cela n’a pas été mentionné comme l’un des motifs plausibles du retour du gouvernement Trudeau à la tête de la Chambre des Communes, mais il est une des raisons qui ont pu lui concéder un gain effectif. C’est dans ce fonctionnement que se crée l’interdépendance des partis qui, en faisant tout pour l’éviter, ne font que la renforcer.
Les élections fédérales sont maintenant chose du passé après avoir bien bousculé nos agendas. Le Canada, comme plusieurs pays, est au tournant de ses très nombreuses réformes pour ses grands chantiers politiques. Toutefois, l’équilibre qu’il doit aller chercher pour harmoniser les besoins de ses vastes territoires avec le système de valeurs de ses populations résidentes et à venir lui imposera certainement d’autres exigences. Est-ce que la possibilité de cette culture d’alliance pourrait changer la culture politique des citoyens, en faveur de la prospérité de leur pays ? L’avenir nous le dira.