Soraya Kettani – Opinion – juin 2021
Une célèbre marque de supermarchés a créé une ferme sur le toit de son local. Cette véritable révolution, nichée au milieu de la trépidante ville de Montréal, offre le plaisir frais d’une bonne trentaine de variétés de légumes et le privilège d’un acheminement court, du toit au magasin.

Fermes Lufa – Flickr
Cette image pourrait être une projection en l’an 2050. C’est toutefois en 2017 que ce projet est né. Les gestionnaires de l’épicerie ont choisi d’intégrer une nouvelle corde à leur arc, à savoir l’agriculture. Ce projet leur permet surtout de comprendre les parcours et les défis périlleux que traversent les agriculteurs qui font souvent face à l’ardeur du métier. En dépit de la maigre rétribution qu’ils ont en contrepartie de leur dur labeur, ils ne renoncent toutefois pas à porter à notre assiette l’énergie que nous consommons au quotidien. Alors que ce métier – certainement l’un des plus beaux au monde -est en perte de repères depuis plusieurs années, la survie et la réinvention de celui-ci deviennent primordiales.
Cet exemple montréalais n’est pas le seul. D’autres initiatives privées poussent ici comme ailleurs. Les consommateurs qui font leurs achats en de telles structures y gagnent à plus d’un titre, et apprennent surtout à réadapter leur comportement alimentaire, qui profite en retour à la terre et à l’environnement. En Europe notamment, l’expérience du « mouvement Février sans supermarché » est aussi une belle tentative d’encourager la consommation locale. S’il est encore assez aisé pour certains de trouver en zones urbaines la petite boucherie où producteurs et consommateurs se rencontrent, les achats alimentaires pour le plus grand nombre se font en supermarché.
Mais peut-on simplement blâmer le consommateur ?
Ce dernier est souvent pointé du doigt pour son irresponsabilité dans ce qui semble être « l’achat facile ». Mais l’achat responsable lui est-il pour autant facilité depuis que la norme d’organisation de la chaine alimentaire urbaine est principalement concentrée dans les supermarchés ? Les choix alimentaires relèvent désormais éthiquement de la responsabilité individuelle, sommant ainsi le consommateur à changer ce système, alors que ce dernier a été construit sous l’effet d’une combinaison plus complexe de facteurs, en dehors même de la volonté du consommateur.
À qui vraiment la faute ?
Un rapport du centre d’expertise et de référence en santé publique (2012-2017) indique que l’achat en aliments ultra-transformés en supermarchés et grandes surfaces au Québec a augmenté au courant des dernières décennies, au détriment des aliments frais. Quand on sait que chaque responsable d’un foyer familial doit faire face à l’agitation quotidienne et que les puissantes chaines de distribution se livrent à des combats épiques pour définir leurs stratégies d’implantation les plus compétitives, sous la facilitation aiguisée et déguisée des politiques et pouvoirs publics, on peut se demander si le consommateur est vraiment en position de choisir. L’organisation de l’offre ne l’amène-t-il pas à céder à des produits de moindre qualité nutritionnelle, car plus facilement à sa portée ?
Certes, il s’agit de choix et de responsabilités individuelles et collectives à petite échelle. Mais il s’agit surtout de décisions politiques et de politiques publiques, à grande échelle.
Les projets innovants comme celui de l’épicier montréalais ne parviendront pas à eux seuls à nous reconnecter avec notre terroir alimentaire, si nous ne faisons pas preuve d’une volonté véritable de bousculer les politiques sur ce sujet. Seuls les responsables politiques ont le pouvoir de réguler le marché et d’organiser les débats pour parvenir à des solutions dans ce dossier.
Un débat public faisant du choix du citoyen consommateur le coeur de la stratégie alimentaire en contexte urbain mériterait d’être tenu. Il devra porter sur la liberté de ce dernier à choisir les formes d’organisation de son alimentation au quotidien. Celui-ci permettrait à tous les acteurs d’être considérés, aux idées de jaillir, et serait propice à l’émergence de partenariats entre les producteurs et les marchés alimentaires. Nous verrions aussi naître des politiques de coordination et d’incitation à une alimentation urbaine fraiche. Des incitations plancher pour une alimentation urbaine bien définie doivent être posées pour limiter l’abondance de distribution en produits industriels et favoriser les initiatives de production locale et saine. De nouveaux métiers, vitaux aussi bien pour l’économie que pour la santé publique, verraient ainsi le jour et participeraient à équilibrer les mouvements entre production et consommation. Une telle conception aurait même des effets sur certaines politiques d’agencement du territoire urbain, dans l’intention d’assurer une forme d’équilibre ou d’équité en matière d’accès à la consommation, mais également de ventilation des opportunités d’affaires.
Ceux qui font de l’agriculture leur métier depuis des générations ont certainement leur mot à dire dans cette affaire. Mais bien davantage, c’est au citoyen consommateur de choisir désormais librement le mode de fonctionnement de son écosystème alimentaire, et pour cela, il faudrait aussi lui donner la tribune pour s’exprimer.