Le projet de loi 69 déposé par le gouvernement du Québec vise à réformer le cadre de gestion des ressources énergétiques en permettant la participation accrue du secteur privé. Cette initiative suscite des réactions contrastées dans la population. Certaines personnes y voient un levier pour stimuler la compétitivité industrielle, tandis que d’autres s’inquiètent de ses effets possibles sur le contrôle public de l’électricité et sur la souveraineté énergétique du Québec.
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Un mouvement national
Le 22 mars dernier, plusieurs manifestations contre l’adoption du projet de loi 69 ont eu lieu dans quelques régions du Québec, dont une à Trois-Rivières. En fait, le Syndicat des employé-es de métiers d’Hydro-Québec (SCFP 1500) avait donné le ton en invitant ses membres et la population à une grande mobilisation nationale en faveur des services publics d’électricité. Ce projet de loi, présenté par l’ancien ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, Pierre Fitzgibbon, veut confier « de nouvelles fonctions au ministre de l’Économie, de l’Innovation et de l’Énergie, dont celle d’établir et de mettre en œuvre un plan de gestion intégrée des ressources énergétiques ».
Au Québec, plusieurs craignent une privatisation de la production d’électricité. C’est le cas du regroupement régional Toujours Maîtres chez nous, dont les inquiétudes sont exacerbées par l’imminence potentielle de la construction d’un parc d’éoliennes par TES Canada, d’autant plus que, avec la loi 69, le Projet Mauricie pourrait avoir « le vent dans les voiles » selon la Fondation Rivières, comme l’a affirmé le 29 janvier dernier, avant le mouvement national de protestation, Normand Beaudet, responsable, stratégies de mobilisation, énergie et climat. Le Projet Mauricie est l’un des dossiers dont il s’occupe.
Qu’en est-il au juste ?
Le projet de loi 69 vise à modifier le cadre réglementaire pour permettre une ouverture du secteur énergétique provincial à des projets privés industriels. L’objectif affiché est de stimuler la compétitivité industrielle. En revanche, cela soulève des interrogations quant à la perte du contrôle public sur des infrastructures stratégiques. Ainsi, des organisations comme le SCFP 1500, la Fondation Rivières et le collectif Toujours Maîtres chez nous considèrent qu’il est risqué de céder le contrôle d’infrastructures critiques à des intérêts privés, car à long terme cela pourrait compromettre la souveraineté énergétique du Québec.
Cette loi permettrait, entre autres, l’accès à de nouvelles rivières pour la production d’hydroélectricité et encouragerait l’autoproduction d’électricité par des entreprises industrielles, ce qui rappelle les anciens trusts énergétiques. Selon Normand Beaudet, l’allocation de puissance hydrique au Québec passerait de 50 à 100 mégawatts. « Nous, on a estimé que ça pourrait signifier que l’entreprise privée pourrait cibler près d’une centaine de rivières », explique-t-il.
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Le cas de TES Canada
Selon les opposant-es au Projet Mauricie, la loi 69 favorise les visées de TES Canada en offrant un cadre légal propice à l’expansion de projets d’autoproduction, en plus de réduire certains freins réglementaires. Elle assurerait donc une plus grande souplesse dans l’exploitation des ressources énergétiques. Par exemple, TES Canadapourrait accéder à des blocs d’énergie et négocier des contrats à long terme à des tarifs préférentiels. Conséquemment, cela faciliterait sa capacité à produire et à stabiliser son propre approvisionnement énergétique. En entrevue téléphonique, Isabelle Verge, directrice principale de TACT Communication, l’agence qui représente TES, indique que cela ne relève en rien de TES « et que cela ne change rien au Projet Mauricie, car celui-ci est conforme à tous les cadres de lois ».
Le contexte sociohistorique particulier du Québec
Dans un article intitulé « L’hydroélectricité, l’or bleu du Québec » et publié dans La Gazette le mois dernier, l’historien Jean-François Veilleux précise le contexte historique qui a conduit à la volonté du gouvernement provincial de nationaliser et de contrôler les ressources énergétiques du Québec.
Historiquement, la province a connu la domination de compagnies privées – souvent liées aux anciens trusts énergétiques – qui contrôlaient la production, l’importation et la distribution d’énergie. Power Corporation, en particulier, a joué un rôle central dans ces monopoles, jusqu’à ce que la nationalisation de l’électricité permette de renverser cet équilibre de pouvoir.
Ainsi, les opposant-es au Projet Mauricie de TES Canada veulent nous mettre en garde contre le risque de revenir à ce type de contrôle par des entreprises privées en rappelant la leçon des trusts énergétiques. Le lien entre le nom du collectif qui s’oppose au projet, Toujours Maîtres chez nous, et cette époque pas si lointaine de notre histoire n’est absolument pas le fruit du hasard, puisque c’est avec le slogan Maintenant ou jamais – Maîtres chez nous que le gouvernement Lesage avait gagné, en 1962, des élections à caractère référendaire sur le thème de la nationalisation de l’hydroélectricité.