À la suite d’un premier article publié dans l’édition de mars dernier et qui offrait une analyse sommaire des enjeux socio-économiques du Projet Mauricie, celui-ci en aborde les enjeux environnementaux et sociaux. Rappelons que le Projet Mauricie est une initiative de TES Canada visant à construire une usine de production d’hydrogène vert en Mauricie, alimentée par un parc de 130 éoliennes et des panneaux solaires.
Depuis la présentation du Projet Mauricie en novembre 2023, plusieurs citoyens et citoyennes se sont regroupé-es pour fonder le collectif Toujours Maître chez nous afin de faire part de leurs préoccupations environnementales, sociales et économiques aux parties prenantes du projet. Concrètement, et comme le souligne René Beaudoin, membre actif du Collectif, ce dernier n’est pas opposé aux éoliennes en soi, mais il s’inquiète de l’implantation du parc en milieu agricole et habité, ainsi que de la privatisation de l’énergie. Ce dernier aspect sera abordé dans un prochain article. En résumé, le Collectif demande un moratoire sur le développement éolien ainsi qu’une enquête avec audiences publiques, communément appelée « BAPE générique ».
La question du bruit
La population visée exprime des inquiétudes quant au bruit généré par les éoliennes. Le Projet Mauricie se base sur les propos du Scientifique en chef du Québec pour affirmer qu’il est impossible d’établir un lien significatif entre le bruit des éoliennes et des conséquences sur la santé. Dans une revue de littérature publiée en 2023 par l’Institut national de la statistique du Québec (INSQ), on soutient qu’il est effectivement impossible d’établir une corrélation ou un lien de causalité entre les éoliennes et des effets possibles potentielles sur la santé, en raison de l’hétérogénéité des conclusions des études et de la variabilité des méthodologies utilisées. On y souligne également qu’il existe un aspect subjectif, car la perception du son varie d’une personne à l’autre.
C’est d’ailleurs l’un des points en litige. Le Collectif reconnaît qu’il n’existe pas de preuve scientifique démontrant un lien direct entre le bruit des éoliennes et la santé humaine, mais il exprime son désir que les résident-es des deux MRC ne soient pas « des cobayes ». Comme l’explique M. Beaudoin, « dans l’incertitude, on s’abstient. D’autant plus qu’il y a ce qui n’est pas perceptible à l’oreille, mais cela ne veut pas nécessairement dire qu’il n’y a pas d’impact. » Il fait référence aux infrasons, ces ondes sonores d’une fréquence inférieure à 20 hertz, inaudibles pour l’oreille humaine. Bien qu’insonores, elles peuvent parfois être ressenties sous forme de vibrations. Dans le rapport de l’INSQ cité plus haut, on indique que les données actuelles n’ont pas permis de démontrer de lien entre les infrasons et une sensation de dérangement. Le Collectif demande donc que les projets de ce type soient implantés dans des territoires non habités tant qu’il n’existera pas suffisamment de recherches scientifiques pour exclure hors de tout doute les effets du son sur la santé.
Les impacts sur l’environnement
Le Collectif manifeste également son inquiétude face aux répercussions potentielles sur le sol, notamment sur les nappes phréatiques et l’eau potable. Toujours dans la revue de littérature de l’INSQ, on mentionne que les données disponibles sur les effets des éoliennes sur la qualité de l’eau sont très limitées. Trois études scientifiques, un rapport issu de la littérature grise (documentation parallèle), quatre rapports d’évaluation environnementale et un rapport de suivi environnemental sur des projets éoliens québécois ont été recensés, mais les impacts sur l’eau potable et la santé publique restent incertains. René Beaudoin explique que de nombreux résidents s’approvisionnent en eau grâce à des puits. « Est-ce que cela va avoir une influence sur la qualité de mon eau ? Est-ce que les vibrations vont perturber les veines d’eau qui alimentent mon puits ? Ce sont des questions auxquelles, pour le moment, il n’y a pas de réponses. »
La demande du Collectif de déplacer le Projet Mauricie dans un territoire non habité est également motivée par la destruction partielle de terres agricoles. Selon la Commission de protection des terres agricoles, seulement 2 % du territoire du Québec est constitué de sols de bonne qualité propices à l’agriculture. De plus, bien que des chiffres précis sur le territoire québécois organisé soient difficiles à obtenir, le gouvernement du Québec précise que 92 % du territoire appartient à l’État. Cela signifie qu’une grande partie du territoire est constituée de terres publiques, dont les territoires non organisés, c’est-à-dire qui ne sont pas ceux d’une municipalité. Ainsi, le Collectif considère qu’il existe d’autres endroits plus appropriés pour ce type de projets.
Pour sa part, le Projet Mauricie indique que « le projet prévoit une période de construction d’environ trois ans, de 2026 à 2028, et utilisera principalement les infrastructures routières existantes ». En d’autres termes, TES Canada n’aura pas à créer de nouveaux chemins ou à défricher de forêts, contrairement à Cartier Énergie Éolienne, qui a dû procéder ainsi pour son parc éolien en Gaspésie. René Beaudoin considère que cette approche relève essentiellement d’un aspect économique, en expliquant que c’est la raison pour laquelle ces deux MRC ont été choisies pour l’implantation du projet.
Les répercussion psychologique et l’acceptabilité sociale
Plusieurs personnes qui vivent dans les territoires ciblés éprouvent de la détresse psychologique. Certaines craignent la perte de valeur foncière de leur propriété et les possibles effets sur la qualité de leur eau et sur leur santé. D’autres redoutent des accidents liés aux morceaux de glace projetés par les éoliennes pendant l’hiver. René Beaudoin, propriétaire d’une terre à bois, témoigne à ce sujet : « Le ministère des Affaires municipales indique qu’en hiver il ne faut pas s’approcher d’une éolienne. Si mon voisin met une éolienne chez lui, je pourrais recevoir des morceaux de glace chez moi. Vais-je devoir porter un casque de hockey pour faire du ski de fond ou de la raquette sur ma terre ? En hiver, je devrai vérifier dans quel sens tournent les éoliennes. Mais, dans les faits, je perds l’usage de ma terre. » Bien qu’il soit conscient qu’il existe des dispositifs de dégivrage pour éviter ce type de situation, il se sent néanmoins peu rassuré en raison des risques de bris mécaniques.
Enfin, le Collectif dénonce le manque de transparence de la part de la société qui pilote le projet ainsi que de certaines municipalités et MRC. Par exemple, le 10 février dernier, la préfète de la MRC de Mékinac, Caroline Clément, a signé une entente-cadre avec TES Canada stipulant que les échanges faisant partie de cette négociation seront confidentiels, sauf si l’une ou l’autre des parties, la MRC ou TES, décidait de les divulguer. René Beaudoin critique cette situation, rappelant qu’à la mi-janvier, lors du conseil des maires, des gens ont posé des questions sur les négociations sans être informés qu’une entente était en cours de rédaction. « Le principal élément de cette entente, c’est la confidentialité. Cela signifie qu’on vient de museler les 10 maires de la MRC de Mékinac et les 60 conseillers municipaux qui n’étaient pas au courant de cette entente. À chaque question posée par un citoyen ou une citoyenne, la réponse sera : c’est confidentiel. »
Bref, le Collectif exige davantage d’études scientifiques et de transparence de la part des personnes élues et de TES Canada. En plus de sa présence accrue sur les réseaux sociaux ainsi qu’aux différentes séances et conseils municipaux, il a réalisé une série télé diffusée sur les ondes de nousTV Mauricie et intitulé Vers une transition énergétique ?.