
À Shawinigan [1], en novembre 2023, la compagnie belge TESCanada H2 inc. (TES Canada) présentait son projet d’éoliennes, le Projet Mauricie. Selon l’entreprise, ce projet pourrait avoir des répercussions bénéfiques sur l’économie locale en plus de contribuer à la décarbonation du Québec grâce à la production d’hydrogène vert et de e-gaz renouvelable. [2] Toutefois, des spécialistes soulèvent des doutes quant à sa rentabilité pour l’économie québécoise et un regroupement citoyen souhaite freiner ce projet en dénonçant le manque de transparence des parties concernées et l’absence de fondements scientifiques solides.
Dans une série de trois articles, dont le premier est publié ce mois-ci, nous nous penchons sur le Projet Mauricie proposé par TES Canada. Cet article vise à mettre en lumière les enjeux socio-économiques de ce projet d’envergure. Les prochains mois, nous examinerons les impacts environnementaux et humains ainsi que les projets de loi 69, Loi assurant la gouvernance responsable des ressources énergétiques et modifiant diverses dispositions législatives, et 81, Loi modifiant diverses dispositions en matière d’environnement, déposés respectivement par l’ancien ministre Pierre Fitzgibbon et le ministre de l’Environnement Benoit Charette.
La nature du projet [3]
L’objectif de ce projet est d’implanter une usine de production d’hydrogène vert. Pour parvenir à combler ses besoins énergétiques, on prévoit également la construction d’un « parc d’autoproduction d’énergie renouvelable ». Dans ce parc, l’entreprise prévoit construire près de 130 éoliennes combinées à des panneaux solaires. Les estimations actuelles de l’entreprise indiquent que chaque éolienne pourrait avoir une hauteur de tour d’environ 120 mètres, avec des pales d’une longueur d’environ 80 mètres, ce qui porterait la hauteur totale à environ 200 mètres. Selon certaines sources, ces éoliennes pourraient plutôt atteindre jusqu’à 210 mètres de hauteur. [4] Cependant, TES Canada affirme que le choix des éoliennes n’est pas encore définitif et pourrait évoluer en fonction des choix technologiques et des consultations en cours. [5]
Ce parc énergétique pourrait concerner une douzaine de municipalités dans les MRC de Mékinac et des Chenaux [6] : Hérouxville, Saint-Tite, Grandes-Piles, Saint-Séverin, Sainte-Thècle, Saint-Adelphe, Saint-Stanislas, Saint-Narcisse, Saint-Maurice, Saint-Luc-de-Vincennes, Sainte-Geneviève-de-Batiscan et Saint-Prosper-de-Champlain. La construction est prévue pour 2026, avec une mise en production attendue en 2028.
Des retombées économiques substantielles
Dans l’avis de projet, l’entreprise estime qu’à elle seule la phase de construction pourra générer près de 1 000 emplois. [7] Une fois la production enclenchée, ce seront près de 200 emplois permanents qui seront créés. Selon la firme Mallette, qui a réalisé une étude d’impact dont le rapport final a été déposé en octobre 2024, le projet devrait créer environ 3 750 emplois durant la phase de construction, qui s’étendra sur 36 mois, et une fois le projet opérationnel, environ 200 emplois seraient maintenus, principalement dans l’entretien des éoliennes et la gestion de la production d’hydrogène vert, à un salaire annuel moyen estimé à 88 810 $. [8] De plus, 359 emplois indirects pourraient être créés ou soutenus, pour un total de 559 emplois. [9]
Ce rapport prévoit également des retombées économiques importantes pour la région et le Québec. L’investissement total du projet est estimé à 4 milliards de dollars, avec des retombées économiques globales de 5,6 milliards de dollars sur 23 ans. [10] Le projet devrait également générer des revenus fiscaux de 534 millions de dollars pour le Québec [11] et de 194 millions de dollars pour le Canada. [12] De plus, 73 % des biens et services utilisés proviendraient du Québec [13], ce qui favoriserait les entreprises locales.
Des limites soulevées
Toutefois, des questions subsistent quant à la rentabilité du projet. Dans son rapport, la firme Mallette indique que « toutes les données et informations financières essentielles à la réalisation du mandat ont été fournies par l’équipe de TES Canada et les parties prenantes consultées lors du mandat. Mallette n’a pas procédé à un audit de ces informations selon les normes canadiennes d’audit. » [14] En d’autres termes, cela signifie que Mallette s’est fiée aux informations fournies sans les vérifier de manière approfondie ou indépendante, et qu’il n’y a pas eu d’examen rigoureux des données financières selon les standards d’audit généralement reconnus.
Johanne Whitmore, chercheuse principale à la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, et Paul Martin, ingénieur chimiste et cofondateur de Hydrogen Science Coalition, ont publié en avril 2024 une étude de cas sur TES Canada. Dans une lettre ouverte, publiée en janvier 2024 dans La Presse, ils appellent à plus de transparence de la part de l’entreprise. Ils soulignent notamment que le coût de production du e-gaz (90 $/GJ) serait nettement plus élevé que celui du gaz naturel (de 3 à 7 $/GJ) ou du gaz naturel renouvable (de 20 à 25 $/GJ) [15], soulevant des doutes sur la compétitivité du projet, qui pourrait chercher des marchés extérieurs plutôt que de bénéficier directement aux Québécois et Québécoises.
En somme, le Projet Mauricie représente une initiative d’envergure aux implications économiques majeures. Alors que TES Canada met de l’avant ses retombées positives, des spécialistes et des citoyens et citoyennes restent sceptiques quant à la viabilité du projet et exigent plus de transparence. Le débat se poursuit et l’adoption prochaine des projets de loi 69 et 81 pourrait venir modifier la gouvernance des ressources énergétiques et les exigences environnementales.