Françoise Legris, lauréate du Grand prix de la Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières 2025, ne s’attendait pas à se retrouver là. Assise devant moi, dans un calme sincère, elle raconte un parcours à la fois modeste et immense, façonné par le quotidien, les gestes, les objets oubliés. Un parcours où chaque détail, chaque tache d’encre, chaque pli devient une trace vivante du temps.
« Je suis née à Saint-Élie-de-Caxton. Dans ce temps-là, c’était vraiment reculé. Pas d’Internet, évidemment. À peine quelques postes de télé. » Très jeune, elle développe une passion pour le bricolage et le dessin, grâce à une émission animée par Madeleine Arbour. « Chaque semaine, c’était sacré. Je la regardais religieusement et j’essayais de refaire ses bricolages. C’est comme ça que ça a commencé. »
À l’école secondaire, elle étudie chez les sœurs de l’Assomption, qui offrent un programme d’arts étonnamment solide. C’est là que sa fibre artistique se structure. Puis, arrivée au cégep de Trois-Rivières, elle découvre la gravure : bois, linoléum… un choc. « J’ai eu la piqûre pour vrai. Je me souviens que j’ai gagné un prix à cette époque-là, le prix du Premier ministre, remis par Robert Bourassa. Une bourse en gravure. C’était prestigieux pour moi. »
Mais son chemin bifurque. Elle tente l’université en Beaux-Arts, mais l’approche plus conceptuelle la déçoit. Elle cherche des cours plus concrets : dessin, couleur, matière. Elle se réoriente donc en graphisme à l’Université Laval, puis travaille à Montréal dans deux agences de publicité. « C’était le fun, j’ai aimé ça. Mais dans un coin de ma tête, il y avait toujours une petite voix : gravure, gravure… »
Cette voix prendra toute la place à sa retraite, prise tôt. Elle suit des cours de gravure à l’Atelier Circulaire à Montréal. Et là, sans flafla, elle devient graveuse à plein temps. Depuis une dizaine d’années, elle se consacre à cette pratique, avec une assiduité nouvelle et une grande humilité.
C’est la pandémie qui l’a ramenée en Mauricie. Un chalet familial, hérité de son père, sur le bord du lac Plaisant. « À la pandémie, mon mari et moi, on a décidé de s’y installer pour de bon. Le temps s’est ralenti. J’ai commencé à dessiner tous les jours, à suivre des ateliers en ligne avec un groupe de Chicago. Ça m’a vraiment fait avancer. »
C’est à ce moment qu’elle se rapproche de l’Atelier Presse Papier, où elle poursuit sa pratique de la lithographie avec régularité. Les dessins réalisés au crayon graphite durant la pandémie sont ensuite transposés en lithographie. Une série marquante, inspirée d’objets du quotidien. « Moi, j’aime les objets qui ont une histoire. Un vieux gant, une tache, une usure, ça me parle. J’y vois des paysages. »
C’est justement une série sur les gants qui l’a poussée à soumettre un dossier à la Biennale 2025. « Je connaissais l’événement depuis longtemps. Je m’étais toujours dit qu’un jour, je tenterais ma chance. J’ai été très rigoureuse dans mon dossier. J’ai osé. Et j’ai été sélectionnée. »
Mais la surprise a été encore plus grande : elle reçoit le Grand prix de la Biennale. « Je ne m’y attendais pas. Je ne l’espérais même pas. Juste faire partie de la sélection, c’était assez. Le prix, c’est une grande poussée dans le dos. Une reconnaissance. Une acceptation. Comme si, enfin, je faisais partie de la gang. »
La gravure, selon elle, a ce pouvoir unique d’émouvoir avec des techniques pourtant anciennes. « C’est mystérieux. L’outil est ancestral, mais le résultat est contemporain. Il y a un paradoxe magnifique là-dedans. Et je pense que c’est pour ça que ça rejoint autant de monde. »
Elle voit dans l’estampe une forme d’art plus accessible. « Comme l’œuvre est imprimée en plusieurs exemplaires, son prix devient plus abordable. Quelqu’un peut tomber en amour avec une gravure et repartir avec pour 100 $. Et puis il y a la chaleur du papier, le grain. C’est vivant. »
Quand je lui tends mon vieux gant de moto, usé, marqué, elle l’observe longuement. Elle y voit des textures, des contrastes, des plis qui racontent une histoire. Moi, je pense à tout ce que ce gant m’a permis : affronter les routes, sortir d’un bois en panne, protéger ma main d’une morsure d’animal sauvage. Elle me dit, en riant : « Tu devrais l’encadrer. »
Aujourd’hui, son plus grand défi, c’est de continuer. De ne pas ralentir. De garder cette énergie malgré la rigueur physique qu’impose la lithographie. Et si elle devait nommer son œuvre la plus importante ? « La série pour la Biennale. Elle résume tout. Et si on me demande combien de temps j’ai pris pour la faire, je dis toujours : 70 ans. Parce que tout mon vécu est dedans. »
À voir jusqu’au 7 septembre 2025, la Biennale internationale d’estampe contemporaine de Trois-Rivières, où l’on peut découvrir 200 œuvres – 47 artistes – 17 pays représentés.
Cinq lieux principaux :
- Ancienne gare ferroviaire
- Atelier Silex
- Centre de diffusion Presse Papier
- Centre d’exposition Raymond-Lasnier
- Galerie d’art du Parc