Dans le dernier budget fédéral, la portion imposable d’un gain en capital dépassant 250 000 $ est passée de 50 % à 66,7 % ; le taux reste inchangé à 50 % pour un gain inférieur à 250 000 $. Un gain en capital correspond à un profit réalisé lors de la vente d’un actif financier comme des actions en Bourse, ou d’un immeuble commercial, par exemple. Or, il a fallu peu de temps pour que cette hausse soit dénoncée par les milieux d’affaires, arguant qu’elle nuirait à l’investissement. Qu’en est-il au juste ?
Un cas de figure
Pour comprendre les enjeux de l’impôt sur le gain en capital, prenons l’exemple d’un individu qui aurait un revenu total de 450 000 $, dont 300 000 $ proviendraient d’un gain en capital déclaré et 150 000 $ de son salaire annuel. Comme seulement la moitié des premiers 250 000 $ de gain en capital est imposable, soit 125 000 $, les 125 000 $ restants seraient exemptés d’impôt. Quant au gain excédant le seuil de 250 000 $, soit 50 000 $, 66,7 % de ce montant serait imposable, soit 33 500 $ ; les 16 500 $ restants seraient aussi exemptés d’impôt. Ainsi, le gain en capital imposable de notre individu fictif serait donc de 158 500 $ (125 000 + 33 500). En additionnant ce gain à son salaire annuel de 150 000 $, son revenu imposable serait donc de 308 500 $.
Calculons maintenant l’impôt que cet individu devrait payer. Dans notre système d’impôt progressif, chacune des tranches de revenu est imposée à un taux qui s’accroît à mesure que le revenu augmente. Selon le barème actuel des taux d’imposition provincial et fédéral, sa facture d’impôt devrait s’élever à 132 655 $, soit 43 % de son revenu imposable de 308 500 $. Est-ce que ce taux est élevé ? Pas vraiment. Car, sans les exemptions fiscales sur son gain en capital, son revenu total imposable serait de 450 000 $, de sorte que les 132 655 $ payés en impôt représenteraient un taux d’impôt payé aussi bas que 29,5 %, ce qui correspond au taux effectif d’une personne gagnant 115 000 $, soit quatre fois moins que notre individu fictif.
Photo : Dominic Bérubé
Qui profite du gain en capital ?
À la lumière de cet exemple, nous pouvons constater que les exemptions fiscales liées au gain en capital affaiblissent le système d’impôt progressif. Ce constat est d’autant plus frappant que l’imposition partielle du gain en capital bénéficie surtout aux 1 % des contribuables les plus riches, étant donné qu’ils déclarent 61 % de tous les gains en capital imposables. Cette concentration est d’autant plus élevée qu’à peine les 0,1 % les plus riches, soit 40 000 personnes, déclarent un gain en capital au-dessus de 250 000 $.
L’impact des baisses d’impôt
Les gouvernements qui se sont succédé depuis 2000 ont abaissé plusieurs fois l’imposition du gain en capital et des entreprises, sous prétexte qu’elle nuisait à l’investissement. La portion imposable du gain en capital est ainsi passée de 75 % à 66,7 % en 2000, puis à 50 % en 2004, tandis que le taux d’imposition des entreprises a été diminué de 27 % à 15 % entre 2000 et 2008.
Or, ces baisses d’impôt n’ont pas eu l’effet escompté, comme le montrent les baisses successives du taux d’investissement en machines et équipements dans le PIB, lequel est passé de 4,5 % à 4,1 % de 2005 à 2010, puis à 3,8 % en 2015, et à 2,6 % en 2023. Ces baisses ont plutôt gonflé les profits nets des entreprises, lesquelles disposent d’une réserve de liquidités de 710 milliards de dollars, soit l’équivalent de la dette nette fédérale.
Que faire ?
L’augmentation de la portion imposable du gain en capital de plus 250 000 $ de 50 % à 66,7 % est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant compte tenu des déficits publics et des défis énormes qui nous attendent (crise climatique, inégalités, logement, santé, etc.). Si on ramenait la portion imposable du gain en capital à 75 %, le fédéral récolterait 25 milliards de dollars de plus cette année. Et en ramenant le taux d’imposition des entreprises à un niveau proche de 2007, soit 21 %, la récolte pourrait combler le déficit fédéral actuel.
Notons enfin qu’il existe ailleurs dans le monde des formules d’imposition où le gain réalisé à moyen et à long terme est imposé à des taux plus faibles qu’un gain à court terme, et qu’à certains endroits les gains sont imposés à des taux progressifs.