Réal Boisvert – Opinion – Avril 2021
Les conclusions du BAPE concernant le projet de construction d’une usine de liquéfaction et d’un terminal maritime d’exportation de gaz naturel albertain au Saguenay (GNL) viennent d’être divulguées. « Les émissions de GES associées à l’approvisionnement en gaz naturel en amont et la substitution incertaine à des énergies plus polluantes en aval ne permettent pas à la commission de confirmer le bilan positif du projet mis de l’avant par l’initiateur du projet », estiment les commissaires. On l’a échappé belle !
Rappelons que les audiences du BAPE ont donné lieu à une participation citoyenne élevée. Plus de 900 questions écrites ainsi que 2 600 mémoires de la part du public ont été adressés au président de la commission Denis Bergeron. À noter que ce dernier avait refusé de dire si l’ensemble du bilan des GES lié au projet sera abordé dans le rapport du BAPE. On craignait à juste titre que la question des installations et du fonctionnement de l’usine seulement fasse l’objet de ce rapport. Eh bien non. Le rapport du BAPE estime que l’on doit prendre en compte 1) ce qui se passe à la source, soit les retombées dans l’atmosphère des gaz à effets de serre issus de la fracturation des gaz de schiste; et 2) les conséquences de ce projet sur l’écosystème des bélugas qui séjournent dans le fjord. Le bon sens a triomphé cette fois-ci. On s’en réjouit.
On a entendu jusqu’à plus soif les explications de GNL sur les mérites du projet. Les 11 millions de tonnes de gaz dit naturel liquéfié exportées en Europe et en Asie diminueraient de 28 millions de tonnes les émissions de GES mondiales. Faux! estime le rapport du BAPE. On devrait plutôt constater un ajout net de GES dans l’atmosphère si on tient compte de tous les paramètres en présence.
Le projet nécessite une mise de fonds de 9 milliards de dollars et serait opérationnel en 2026. Il devrait générer 6 000 emplois directs et indirects, estime l’entreprise. Habiles, les lobbyistes de GNL n’ont pas manqué de rappeler qu’une bonne dizaine d’hommes (sic) d’affaires québécois seraient prêts à investir deux millions de dollars afin de faire savoir aux Américains que les investisseurs d’ici sont prêts à s’impliquer dans l’aventure. Un pipi dans l’océan quand on a appris que Warren Buffet, estimant que le projet ne serait pas rentable, a retiré sa mise de fonds évaluée à 4 milliards de dollars.
On doit à la vérité de dire que les opposants à ce projet ont beau jeu tellement le jupon de GNL dépasse. Au strict plan énergétique par exemple, le bilan est loin d’être reluisant. GNL produira en effet plus de pertes que d’avantages si on tient compte de l’énergie dépensée pour extraire le gaz et le comprimer, pour fabriquer et installer les 780 km de tuyaux nécessaires au transport, pour pomper le gaz, le liquéfier et l’entreposer dans des réservoirs, pour fabriquer les trains, les camions et les navires pour acheminer le tout outre-mer, etc.
Au plan environnemental ce n’est guère mieux. Selon Équiterre, parce que le gaz naturel est composé de méthane, son impact sur le réchauffement climatique est beaucoup plus élevé que le CO2 . Dans le même ordre d’idées, le fragile écosystème du Saguenay et les espèces qui vivent dans le golfe ne sauraient survivre au passage, bon an mal an, de 300 super-méthaniers de presque un tiers de kilomètre de longueur et de 40 mètres de largeur.
Enfin, pour ce qui est de l’acceptabilité sociale on repassera. À la pétition des 110 000 signatures qui ont exprimé leur désaccord, il est intéressant de noter que les trois partis formant l’opposition à l’Assemblée nationale s’opposent au projet. En dernière heure, le Parti libéral du Québec (PLQ) est en effet entré dans la mêlée avec le Parti québécois (PQ) et Québec solidaire (QS). À la droite de l’échiquier politique, la sortie du PLQ a été accueillie un peu comme coup de tonnerre dans un ciel sans nuages. La vieille arrière-garde libérale favorable au projet et l’ancien député de la place Serge Simard en tête n’ont pas vu venir le coup et les voilà qui accusent leurs anciens collègues d’abandonner les régions. Tout au contraire, saluons ici le courage de Dominique Anglade qui s’est élevée au-dessus de la ligne partisane et, ce faisant, tourne le dos à un modèle de développement économique, pour le dire avec les mots de Jérôme Baschet dans son livre Basculements, orienté vers la compulsion productiviste et la rentabilité excessive, deux dispositions de l’économie actuelle qui, loin de contribuer au développement des régions, participent à l’épuisement des ressources et au dépérissement des territoires. Parlez-en à l’industrie forestière et aux entreprises minières.
Oui, l’heure de vérité est maintenant arrivée pour le gouvernement Legault. Ou bien on va quand même de l’avant avec GNL et on accélère la course qui nous conduit dans un mur; ou bien on fait une croix pour de bon sur GNL-Saguenay et on met résolument le cap sur des modes de développement misant sur la participation sociale et les avancées écologiques. Au sortir d’une pandémie qui nous dit que désormais rien ne peut plus être comme avant, la deuxième branche de cette alternative s’impose comme jamais.