Jean-François Veilleux – décembre 2019
À l’occasion du 60e anniversaire de la mort de Maurice Duplessis, survenue le 7 septembre 1959, à Schefferville, il est opportun de s’interroger sur le bilan de cet homme politique controversé.
Maurice Le Noblet Duplessis est né à Trois-Rivières le 20 avril 1890 dans une famille conservatrice. Fils d’un député ultramontain, il sera avocat après des études à l’Université Laval. Admis au barreau en septembre 1913, il tente sa chance en politique en 1923 mais ne se fait pas élire. C’est en mars 1927 qu’il devient député de Trois-Rivières et il le restera pendant plus de trente années consécutives, soit jusqu’à sa mort. Il porte d’abord les couleurs du Parti conservateur du Québec, dont il deviendra le chef en octobre 1933 après avoir été choisi chef de l’opposition du gouvernement en novembre 1932. Ensuite, Maurice Duplessis fonde le parti de l’Union nationale en novembre 1935 avec de nombreux démissionnaires libéraux.
Il devient alors le premier ministre du Québec cumulant le plus long mandat (1936-1939, 1944-1959), un record inégalé même dans les autres provinces canadiennes. Il s’est également signalé par son tempérament bouillant. Par exemple, Duplessis aurait refusé d’aller en France – et s’entendait très mal avec le président français de l’époque – même s’il voulait y ouvrir une ambassade officielle. À propos de son caractère colérique, on peut en avoir une bonne idée en se référant à l’interprétation assez mémorable qu’en a donné Jean Lapointe dans la série télé de Denys Arcand en 1978.
Chez les historiens, on aime bien se rappeler l’anecdote de l’inauguration officielle du pont entre Trois-Rivières et Cap-de-la-Madeleine en juin 1948. Duplessis aurait alors affirmé que ce pont serait « aussi solide » que son gouvernement… Malheureusement, le pont s’écroule à l’hiver 1951, faisant au moins quatre morts (dont trois Madelinois) et quelques blessés. Même si le premier ministre accusa les communistes de sabotage, l’enquête démontra que le froid sibérien (-35 °C) et l’utilisation de matériaux de construction de mauvaise qualité furent responsables de cette tragédie, la plus grande dans la région depuis l’incendie de Trois-Rivières en juin 1908.
Du fait que Maurice Duplessis est un célibataire endurci, n’ayant jamais eu d’enfants (probablement à cause d’une malformation génitale), des rumeurs circulent sur sa relation avec sa fidèle secrétaire, Auréa Cloutier. Elle seule pouvait entrer dans la modeste suite 1107 qu’il occupa, entre 1936 et 1959, au 11e étage de l’hôtel Château Frontenac à Québec, afin de classer sa correspondance et les journaux. Par contre, d’autres sources lui prêtent aussi de nombreuses maîtresses…
Bien sûr, sur le plan politique, il y a de nombreuses controverses : la Loi du cadenas (1937), l’appropriation de la police provinciale (l’ancêtre de la SQ) à des fins partisanes, le népotisme, le cumul des pouvoirs (Duplessis s’était attribué le ministère de la Justice), le favoritisme de l’Union nationale, l’utilisation massive de la propagande partisane, les réfrigérateurs gratuits et l’asphaltage prioritaire pour les comtés qui votaient « du bon bord », la mauvaise gestion des orphelinats (« les orphelins de Duplessis »), la vente à rabais de nos ressources naturelles (un cent la tonne pour le minerai de fer) ainsi que son opposition outrancière au communisme, au syndicalisme et… aux Témoins de Jéhovah !
Malgré tout, Maurice Duplessis aura laissé au Québec un héritage très important : un drapeau – le fleurdelisé (adopté le 21 janvier 1948), l’accélération de l’industrialisation du Québec, la nomination du premier ministre des finances francophone, l’électrification des campagnes (la puissance d’Hydro-Québec a triplé sous sa gouverne), le doublement des salaires pendant son mandat et l’augmentation du niveau de vie, sans oublier sa farouche bataille avec Ottawa après la Deuxième Guerre mondiale pour le rapatriement de l’autonomie financière du Québec par la création d’un impôt provincial sur le revenu.
Ces mesures nationalistes, en plus d’avoir laissé l’État québécois sans déficit, dégageront une marge de manœuvre financière qui permettra l’éclosion de la Révolution tranquille menée par Jean Lesage dès juin 1960. Malheureusement, cette période de laïcisation de la société québécoise coïncide également avec la volonté des élites de couper les ponts avec l’ancien régime et leur « cheuf » en proclamant le duplessisme comme étant une grande noirceur.
L’histoire de la statue à son effigie devant l’Assemblée nationale du Québec résume bien ce malaise. Commandée par Paul Sauvé en 1960, mais remisée au sous-sol de l’édifice par Jean Lesage durant des années, elle sera finalement inaugurée par René Lévesque en 1977.
Depuis dix ans, des chercheurs comme Lucia Ferretti, Xavier Gélinas, Alain Lavigne, Martin Lemay et Jonathan Livernois ont voulu détruire certains mythes entourant cette période du gouvernement Duplessis. Les récents travaux du Trifluvien Alexandre Dumas, qui vient de faire paraître un ouvrage sur la relation entre le régime duplessiste et l’Église, démontrent d’ailleurs que Maurice Duplessis était « un homme pieux et donc parfaitement conscient de l’influence de la religion pour la société canadienne-française. Il reconnaissait la souveraineté de l’Église pour les affaires spirituelles et demandait en retour qu’elle reconnaisse sa suprématie dans les affaires temporelles. Il aimait se présenter comme le gardien de la foi et s’attendait à ce que prêtres et évêques le reconnaissent comme tel ». Rappelons notamment que c’est Duplessis qui a accroché le crucifix à l’Assemblée nationale du Québec en 1936, objet que le gouvernement caquiste a finalement décroché le 9 juillet 2019.
De nos jours, divers monuments et espaces publics évoquent sa mémoire, par exemple le fameux pont Duplessis qui enjambe la rivière Saint-Maurice ou sa statue gigantesque érigée en 1964 dans la cour du manoir Boucher-de-Niverville sur la rue Bonaventure à Trois-Rivières, tout près de la maison où il résidait et dans laquelle il avait installé son bureau. Lorsqu’il ne siégeait pas à Québec, il pouvait y recevoir jusqu’à 100 personnes par jour !
Il était par ailleurs reconnu comme un grand amateur de peinture et de musique classique. Toutes ses archives ainsi que son impressionnante collection de médailles et de prix personnels sont conservées au musée Pierre-Boucher à Trois-Rivières. On peut aussi voir son imposant monument funéraire au cimetière Saint-Louis sur le boulevard des Forges. Chose certaine, attirant encore les éloges autant que les critiques, Duplessis aura laissé une marque indélébile sur le Québec moderne par ses réalisations politiques et il n’aura laissé personne indifférent.
Sources principales :
Alexandre DUMAS. L’Église et la politique québécoise, de Taschereau à Duplessis, Montréal, McGill Queen University Press, 2019, 376 p.
Martin LEMAY. À la défense de Maurice Duplessis, Montréal, Éd. Québec/Amérique, coll. « Dossiers et Documents », préface de Mathieu Bock-Côté, 2016, 168 p.
Jonathan LIVERNOIS. La révolution dans l’ordre – une histoire du duplessisme, Montréal, Éditions du Boréal, 2018, 256 p.
Alain LAVIGNE. Duplessis, pièce manquante d’une légende – L’invention du marketing politique, Québec, Éditions Septentrion, 2012, 200 p.
Xavier GÉLINAS et Lucia FERRETTI (dir.). Duplessis, son milieu, son époque. Québec, Éditions Septentrion, 2010, 520 p.
Jean-François NADEAU. « Lumière sur le pont de Maurice Duplessis », Le Devoir, 1er août 2016.
Rémi NADEAU. « Il y a 50 ans, Duplessis s’éteignait », Le Soleil, 6 septembre 2009.
ANONYME. « Le 31 janvier 1951, le pont Duplessis tombait », Le Nouvelliste, 1er février 1986.
www.ledevoir.com/photos/galeries-photos/le-premier-ministre-un-sans-domicile-fixe-a-quebec/301553
www.patrimoine-culturel.gouv.qc.ca/rpcq/detail.do?methode=consulter&id=96509&type=bien#.XcMHEa9CdI0
www.capitale.gouv.qc.ca/nos-projets/commemoration-et-art-public/monuments/monument-maurice-duplessis
René Lévesque et la statue de Duplessis : www.youtube.com/watch?v=9jGRqudB2pc
www.lapresse.ca/arts/livres/201809/24/01-5197761-jonathan-livernois-duplessis-nest-pas-mort.php
www.ledevoir.com/culture/476763/nos-ponts-avec-le-passe-4-6-lumiere-sur-le-pont-de-maurice-duplessis
www.erudit.org/fr/revues/cd/2005-n83-cd1045643/7054ac.pdf
http://bilan.usherbrooke.ca/bilan/pages/evenements/999.html
https://www.sq.gouv.qc.ca/organisation/histoire/