Magali Boisvert – Collaboration Culture Trois-Rivières – novembre 2021
Les feuilles adoptent leurs couleurs d’automne au moment de joindre au téléphone le comédien Marc Béland, l’un des deux cerveaux (avec celui d’Alix Dufresne) derrière le spectacle étonnant Hidden Paradise, qui sera présenté le 24 novembre à la salle Anaïs-Allard Rousseau.
Marc Béland, c’est un nom très connu dans le milieu des arts de la scène au Québec et un visage on ne peut plus familier pour le public, lui qu’on connait pour des rôles dans Virginie ou Annie et ses hommes. Ce qu’on ignore peut-être, c’est qu’un pan de sa carrière a été consacré à la danse. Ce n’est donc pas si surprenant, en fin de compte, que ce soit avec leurs corps que Marc Béland et sa complice Alix Dufresne aient choisi d’exposer leur indignation face au fléau que représentent les paradis fiscaux.
Une entrevue qui met le feu aux poudres
Le 9 février 2015, Marc Béland entend à la radio de Radio-Canada une entrevue du philosophe Alain Deneault avec l’animatrice Marie-France Bazzo. Le sujet de discussion : les paradis fiscaux, ce trou noir économique qui aspire 21 000 milliards de dollars, selon l’économiste James Henry que Deneault cite dans son essai Une escroquerie légalisée : Précis sur les « paradis fiscaux ». Selon Deneault, ce problème est à l’économie ce que les changements climatiques sont à l’écologie.
Immédiatement, Béland et Dufresne partagent une indignation de prendre conscience de toute la richesse qui n’est pas redistribuée dans la société, qu’il s’agisse des écoles, des institutions artistiques sous-financées ou du système de santé déjà fragilisé avant la pandémie.
Comment sonner l’alarme ?
Lors de la création de Hidden Paradise, Marc Béland et Alix Dufresne ont immédiatement embrassé une présentation sans narration ni personnages : « On vit quand même une époque assez troublante, et je me disais, moi qui suis comédien depuis une quarantaine d’années, j’avais envie de sortir de la fiction, puis amener sur la scène un sujet que je trouvais plus urgent, d’exposer le sujet d’une façon un peu plus pamphlétaire. »
Ce dernier n’est pas étranger à l’air du temps qui a des effluves de fin du monde : « C’est l’état d’urgence qui fait qu’on s’encombre moins dans le comment, mais [plutôt] dans le “On y va”. Parce qu’on ne sait pas de quoi demain va être composé, donc on agit avec une urgence qui fait qu’on réfléchit moins sur les formes, sur le décor… Comme s’il n’y avait pas de lendemain, donc on utilise cette énergie vitale, cette énergie primaire pour mobiliser nos forces pour agir, avec nos moyens d’artistes. »
L’indignation à bras-le-corps
Alors que certains artistes auraient choisi la narration ou la fiction pour dénoncer cette problématique, Béland et Dufresne ont brandi leur corps : « Qu’est-ce qu’on peut faire, comment on agit ? Avec nos moyens d’artistes, c’est-à-dire la danse, le mouvement, la répétition. » Oui, parce que l’entrevue audio de Deneault et Bazzo est reprise plusieurs fois au cours du spectacle, à chaque fois en jouant avec le verbatim et en réagissant avec leur corps de manière de plus en plus engagée dans l’espace.
Avec tout de même une généreuse dose d’humour, le public verra les artistes progressivement plonger leur corps d’un rôle passif à actif au fur et à mesure que les propos de Deneault les habitent : « Physiquement, c’est très exigeant, donc je pense que les spectateurs reçoivent cette colère par l’engagement physique que nous, on y met. Ce n’est pas quelque chose de cérébral, pas du tout. On ne se prend pas la tête. »
Ajouter une pierre à la muraille
Bien que l’indignation habite le comédien, metteur en scène et danseur, Marc Béland reste terre à terre. Il admet que cette performance aurait pu porter sur les changements climatiques ou les relations homme-femme. Or, il s’agit d’une contribution au discours sociétal, un geste concret d’engagement, une pierre dans la muraille.
Puisque comme l’écrit Deneault sur les paradis fiscaux, prendre parole est un geste puissant : « tout le monde ne viendra à bout des paradis fiscaux qu’en s’enquérant de ce qu’ils provoquent pour son pays, pour sa communauté et pour soi-même. […] Ainsi, parler d’eux est déjà une façon de les diminuer. »
Les billets sont disponibles sur le site de Culture 3R.