
Par Lauréanne Daneau, directrice, Conseil régional de l’environnement Mauricie
Le 9 novembre prochain, dans le cadre des Journées de solidarité internationale, le directeur général de la Fondation David Suzuki (section Québec et Atlantique), Karel Mayrand, présentera la conférence Une voix pour la Terre : l’engagement citoyen pour transformer le monde. Devant la crise écologique actuelle, les inégalités sociales et le déclin de la démocratie, il va à la rencontre de citoyens aux prises avec un sentiment d’impuissance pour leur proposer des moyens d’actions collectives. Extrait d’un entretien avec un homme qui veut changer le monde.
LD : En 2012, vous publié le livre Une voix pour la Terre duquel vous tirez une série de conférences que vous présentez à travers le Québec. Que voulez-vous raconter aux gens?
KM : Quand j’ai commencé mon livre, je voulais écrire sur des thématiques du développement durable à travers des rencontres qui m’avaient inspiré. Au fur et à mesure que j’écrivais, j’ai réalisé que je parlais davantage de mon propre engagement. Parce qu’à 20 ans, j’étais beaucoup moins engagé que je le suis aujourd’hui. Et donc, c’est devenu un livre et la conférence encore plus, sur l’engagement citoyen. On a beau regarder tous les problèmes qu’on vit, qu’ils soient environnementaux ou qu’ils touchent à la justice sociale, le remède c’est toujours l’engagement et la parole des citoyens. La personne la plus difficile à convaincre qu’on peut changer le monde, c’est soi-même. Mais une fois que c’est fait, l’on devient contagieux. Il faut trouver les propres raisons de son engagement, ses propres valeurs pour arriver à inspirer les autres.
LD : Attirez-vous des curieux ou des convaincus ?
KM : Les gens qui se déplacent sont déjà un peu engagés, mais selon les lieux où je présente la conférence, il peut arriver que la clientèle soit plus diversifiée. À ce moment-là, j’essaye de semer une étincelle. Convaincre les gens qu’ils ne sont pas seuls, qu’il y en a beaucoup autour d’eux. L’engagement ne passe pas seulement par de grands gestes. N’essayez pas de tout régler d’un coup, c’est trop gros. Allez-y bouchée par bouchée.
LD : Comment expliquer le sentiment d’impuissance par rapport à la capacité des citoyens à faire une différence ?
KM : De plusieurs manières. Il y a une perte de contrôle démocratique, les décisions s’éloignent des gens. Par exemple, on n’est plus capable de répondre à la question qui décide des orientations économiques ? Les marchés, Wall Street, les Chinois ? Il y a une perte de contrôle économique de laquelle découle une perte de contrôle politique et éventuellement un désintérêt démocratique. Ce n’est pas étonnant de voir un phénomène comme Donald Trump aux États-Unis ou le Brexit en Angleterre. Il y a une insatisfaction, les gens sentent qu’ils ne sont pas écoutés. Et plutôt que de remettre en question les institutions, ce sont les élites qui sont blâmées. Il y a aussi moins de lieux pour se rencontrer, les gens ont moins de temps pour échanger. Tous les débats politiques deviennent de la chicane. L’ensemble de ces facteurs finit par créer du cynisme. Le défi c’est d’inverser ce cynisme par l’espoir.
LD : Comment arrivez-vous à convaincre les citoyens qu’ils ont un pouvoir ?
KM : Parce que c’est toujours comme ça que le monde a changé. Margaret Mead disait : « ne doutez jamais qu’un petit groupe d’individus engagés puisse changer les choses, car c’est la seule manière qu’il n’a jamais changé ». C’est vrai ! Le droit de vote des femmes, c’était impensable, ça déstabiliserait la démocratie. Le travail des enfants : l’éliminer allait jeter à terre l’économie, disait-on. Toutes les fois, il a fallu une mobilisation citoyenne pour porter ces changements sociaux. On finit toujours par gagner du moment où l’on dénonce une injustice et prône un avantage pour tous. Mais ça prend du temps parce que les forces qui s’opposent aux changements sont tenaces. Gandhi disait : en premier, ils vous ignorent, ensuite ils vous ridiculisent, puis vous combattent et, à la fin, vous gagnez. C’est souvent comme ça que les mouvements sociaux se développent.
LD : Vous avez décidé de joindre le mouvement Faut qu’on se parle. Est-ce la bonne plateforme pour répondre à un besoin de société ?
KM : Peut-être que ce n’est pas LA bonne plateforme, mais on a décidé de se mettre à l’écoute de la population parce qu’on sent qu’il y a un besoin de prise de parole, particulièrement du côté des progressistes. L’idée d’aller dans des assemblées de cuisine, rien d’hyper structuré, d’offrir des rencontres conviviales sans barrière, ça m’apparaît important. Et on n’arrive pas à suffire à la demande : toutes les consultations publiques sont complètes et pour les assemblées de cuisine, on a reçu plus de 250 demandes. Alors, est-ce la bonne plateforme ? Je ne sais pas, mais est-ce qu’on répond à un besoin ? Sans aucun doute.
LD : Combien de temps allez-vous consacrer à la consultation ?
KM : Jusqu’aux Fêtes. Techniquement, les consultations devraient se terminer là. Mais quand on regarde la demande, on se questionne s’il faut continuer. On a des demandes des Îles-de-la-Madeleine, de Kuujjuaq, mais tout ça demande beaucoup de temps et de ressources. Donc, ça se peut qu’on ait à « fermer les livres » avant d’avoir répondu à tout le monde. Après, on veut digérer ce que l’on a entendu, le mettre sur papier, puis le transmettre à la population, si tout va bien, début 2017. Il n’y a pas eu d’engagement du groupe de poursuivre au-delà de ça.