Illustration : Jocelyn Jalette
Parmi les divers éléments du patrimoine textile et vestimentaire appartenant à la tradition québécoise, on peut mentionner le tricorne (chapeau français en usage en Nouvelle-France), la chemise à carreaux (symbole d’un peuple défricheur). On peut aussi penser à l’héritage autochtone : souliers de bœuf, mocassins, chapeaux de fourrure, etc. Mais comme symbole par excellence du folklore québécois, la ceinture fléchée mérite toute notre attention.
Selon les différentes sources historiques, il semble que la ceinture fléchée n’ait pas d’origine exclusive. Une chose est sûre cependant, ce produit artisanal relève d’un savoir-faire unique dans le monde et propre au Québec.
Dans les années 1940, Marius Barbeau (1883-1969), grand ethnologue québécois et fondateur de l’anthropologie québécoise, avait entamé une étude sur l’histoire de la ceinture fléchée. Toutefois, il n’arrivait pas à déterminer si elle était d’origine écossaise, française, canadienne, acadienne ou autochtone. C’est seulement dans les années 1970 que de nouvelles recherches démontreront clairement les origines « canadiennes » de la ceinture fléchée. Ici, il faut entendre « Canada » au sens du pays fondé par Jacques Cartier en 1534 et construit par Champlain en 1608.
Une monnaie d’échange
Les premières mentions de la ceinture fléchée datent de 1798 et proviennent d’inventaires de la Compagnie de la Baie d’Hudson. Cette compagnie est la plus vieille entreprise canadienne, fondée le 2 mai 1670 par les coureurs des bois d’origine trifluvienne Médard Chouart des Groseillers (1618-1696) et Pierre-Esprit Radisson (vers 1636-1710).
À cette époque, la ceinture fléchée est une excellente monnaie d’échange dans la traite des fourrures avec les Autochtones. Il faut dire qu’elle était alors majoritairement produite pour les voyageurs, ces fameux coureurs des bois, dont l’activité ira déclinant jusqu’au milieu du XIXe siècle.
Un style « canadien »
Mais en cette fin de XVIIIe siècle, tout le monde porte la ceinture fléchée : bourgeois, guides, etc. Elle fait partie du « style canadien » avec le bonnet (tuque) et le manteau (capot) gris. En réalité, les ceintures servaient surtout à entourer le « capot » des hommes, c’est-à-dire un manteau fabriqué avec de la laine et du lin – un matériau communément appelé « étoffe du pays » – pour conserver la chaleur corporelle, ainsi qu’à soutenir leur dos pendant les durs travaux physiques quotidiens.
Une production régionale, une popularité nationale
À la fin du XVIIIe siècle, la production de ceintures fléchées se concentre rapidement dans la région de L’Assomption, d’où leur nom anglais Assomption Sash. Au XIXe siècle, elles se répandent à travers l’Amérique du Nord grâce aux compagnies de fourrures. D’abord l’apanage des habitants, puis des voyageurs du Nord-Ouest, des Autochtones et des Métis, à partir des années 1840, la ceinture fléchée va séduire les membres des clubs de raquetteurs, les bourgeois et elle fait même partie de l’uniforme des étudiants des séminaires.
Un symbole politique et culturel
Malgré le déclin des voyageurs au XIXe siècle, la ceinture fléchée devient un symbole de résistance lors de la Révolution des Patriotes en 1837-1838. En effet, les députés membres du parti Patriote s’habillent avec des vêtements fabriqués par leur femme, donc en « étoffe du pays », afin de boycotter l’importation des produits anglais (le rhum, le thé, le sucre raffiné, etc.). Les tissus « du pays », grossiers et méprisés, comme la laine et la toile, deviennent les étendards d’une lutte politique. De même, le sucre d’érable du pays est de plus en plus estimé.
L’apogée de la ceinture fléchée, ou son âge d’or, se situe dans la seconde moitié du XIXe siècle, entre 1850 et 1890. C’est notamment vers 1880 que le caricaturiste Henri Julien (1852-1908) crée la première version de son œuvre « Le vieux de ‘37 » pour illustrer le poème « Le vieux patriote » de Louis Fréchette (1839-1908), ce qui va ancrer sa représentation dans notre imaginaire collectif.
Un héritage à protéger
Dorothy Burnham (1911-2004), qui fut conservatrice au Royal Ontario Museum de Toronto, affirmait en 1981 que la ceinture fléchée traditionnelle dite de l’Assomption était « le plus beau tissage aux doigts du monde ». D’ailleurs, la ceinture dite de l’Assomption est classée en février 2016 par le gouvernement du Québec comme élément du patrimoine culturel immatériel (PCI) du Québec, entre autres grâce au leadership de l’Association des artisans de ceinture fléchée de Lanaudière.
Le fléchage, la technique de réalisation d’une ceinture fléchée, est reconnue au patrimoine culturel immatériel du Québec, au même titre que les contes et les légendes, la musique, les chants patriotiques, l’hymne national, la podorythmie, les recettes de cuisine, les danses traditionnelles, l’acériculture, les sacres et les arts vivants. Encore aujourd’hui, ce symbole culturel de la nation québécoise témoigne de la vitalité d’une « société tricotée serrée », selon l’expression du sociologue Marcel Rioux (1919-1992), d’un peuple « tissé serré » et métissé, comme le chante le groupe Loco Locass dans Les Géants.
Sources principales:
Marius Barbeau. La ceinture fléchée. Préface de Marcel Rioux, Montréal, Éditions l’Étincelle, 1973, 111 p.
Histoire et origines de la ceinture fléchée traditionnelle dite de L’Assomption, rédigé par l’Association des artisans de ceinture fléchée de Lanaudière inc., Québec, Éditions Septentrion, 1994, 128 p.
« Éclairs et flammes en ceintures fléchées », revue Chez l’Antiquaire, édition 2013, p. 27.
Francis Back. « L’étoffe de la liberté – Politique textile et comportements vestimentaires du mouvement patriote », Bulletin d’histoire politique du Québec, vol. 10, no 2, 2002, p. 58-71. https://www.erudit.org/en/journals/bhp/1900-v1-n1-bhp04649/1060523ar.pdf
http://www.1837.qc.ca/1837.pl?out=article&pno=analyse52&cherche=ANALYSE
https://fr.wikipedia.org/wiki/Bonhomme_Carnaval
Les Géants, chanson du groupe Loco Locass : https://www.youtube.com/watch?v=i0giWOmO6_M