Un texte d’opinion de Jacques Rousseau et Serge Lévesque, membres du comité de coordination de Terre précieuse
Une protection inefficace des milieux humides
L’importance des milieux humides est reconnue. Entre autres, ils filtrent et purifient l’eau de surface, réduisent les risques d’inondation, limitent les impacts des sécheresses, captent le carbone. Compte tenu de leur importance, on trouve depuis 2017 dans la législation québécoise le principe « aucune perte nette ».
L’objectif de ce principe est simple : la destruction d’un milieu humide doit être compensée par la création ou la restauration d’un milieu humide équivalent. Pour atteindre cet objectif, la législation québécoise prévoit le versement d’une compensation financière lorsqu’un milieu humide est détruit. L’argent recueilli est versé au Fonds de protection de l’environnement et du domaine hydrique de l’État. Cet argent sert à financer le Programme de restauration et de création de milieux humides et hydriques.
Malheureusement, seulement 1 % de l’argent accumulé a servi à la mise en œuvre de projets de restauration ou de création. Présentement en Mauricie, il n’y a aucun projet en marche. Pour la Ville de Trois-Rivières, une somme de 741 748 $ dort dans les coffres du Fonds. [1]
Pour ces piètres résultats, le ministre de l’Environnement, de la Lutte aux changements climatiques, de la Faune et des Parcs met la faute sur l’inefficacité de la législation destinée à protéger les milieux humides. Récemment, il a déposé le projet de loi 81, Loi modifiant diverses dispositions en matière d’environnement. Ce projet de loi vise entre autres à « favoriser l’atteinte d’aucune perte nette » de milieux humides. [2] Modifier la législation est-il la solution ? Pour changer le cours des choses, il faudra sans doute de la fermeté dans l’application de la législation, modifiée ou non.
Depuis 2017, le Québec a perdu 23 km2 de milieux humides. Entre le 1er janvier 2023 et le 2 octobre 2024, exactement 1 114 autorisations ministérielles permettant d’intervenir dans les milieux humides et hydriques ont été accordées, dont 35 en Mauricie. [3] Au total, dans certaines régions du sud du Québec, « entre 40 et 85 % des milieux humides ont été grugés ou perturbés d’abord par l’agriculture, puis par le développement urbain », explique la journaliste scientifique Raphaëlle Derome. [4]
La difficile création et restauration de milieux humides
Les sommes amassées pour créer et restaurer des milieux humides sont peu utilisées. Les embûches pour mener à bien de telles activités sont nombreuses. Raphaëlle Derome nous en donne une bonne idée dans l’article « L’incertaine restauration des milieux humides » [5] publié dans Québec Science. Dans le sud du Québec, le principal obstacle est le manque de terrains. On manque aussi de spécialistes ayant de l’expérience dans le domaine. Et l’argent pourrait manquer ; en effet, les sommes versées en compensation pourraient être insuffisantes pour couvrir les coûts de création et de restauration.
Pour ce qui est des incertitudes, Raphaëlle Derome fait état de plusieurs facteurs. Ainsi, il est impossible de recréer exactement un milieu humide détruit. De plus, il y a tellement de variables qu’il est difficile de garantir le résultat. Sans compter les imprévus qui peuvent survenir et qui ont un impact sur le temps nécessaire pour exécuter les travaux.
Une fois ces difficultés surmontées, il faut du temps pour que les milieux créés ou restaurés deviennent résilients et fonctionnels. Une tourbière restaurée mettra une vingtaine d’années avant de recommencer à capter du carbone.
La nécessité de combiner protection, création et restauration de milieux humides
Redresser la situation exige en premier lieu de protéger ce qui existe. La nature connaît la recette mieux que nous. Agir aujourd’hui, c’est arrêter de détruire. Le climat et la biodiversité se détériorent rapidement. Le temps joue contre nous.
Mais les destructions passées nous obligent, pour rétablir l’équilibre, à créer et à restaurer des milieux humides. Nous avons un déficit à combler. Dans cette perspective, le principe d’aucune perte nette paraît insuffisant. Il faudrait protéger les milieux humides existants et en créer et en restaurer d’autres. Un compromis possible serait de permettre la destruction d’un milieu humide existant seulement après la création ou la restauration d’un milieu humide résilient et fonctionnel de plus grande surface. Une fois et demie plus grand, le double, le triple ? Ça paraît ambitieux ? Ça l’est, mais c’est à la hauteur de l’enjeu.