L’économie mondiale traverse une période de changements significatifs depuis une quinzaine d’années. D’un côté, la mondialisation piétine, comme en témoigne la stagnation des échanges internationaux. D’un autre côté, l’économie mondiale se fragmente, sous la forme de blocs économiques et géopolitiques. Existe-t-il un lien entre ces deux phénomènes ? Pour y voir plus clair, nous allons en examiner les tenants et les aboutissants.

La fin de l’hyper-mondialisation

Avec la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 1995, une période d’hyper-mondialisation s’est ouverte. Le poids du commerce international dans le PIB a doublé en seulement 15 ans. Cette libéralisation des échanges a poussé les grandes entreprises et les banques à se mondialiser grâce à des fusions et à des acquisitions internationales. Cette concentration accrue du pouvoir économique leur a permis d’imposer des baisses de salaires et d’affaiblir le rôle régulateur de l’État, ce qui a eu comme conséquence d’accroître les inégalités sociales. Cette période de libéralisme débridé s’est conclue par la crise financière mondiale de 2007-2008 et la Grande récession de 2009, lesquelles ont mis un frein à cette hyper-mondialisation. S’ouvre alors une période de fragmentation de l’économie mondiale. 

Les signes de la fragmentation

Le premier signe de la fragmentation est la forte hausse des accords régionaux de libre-échange, dont le nombre atteint 615 aujourd’hui. La plupart de ces accords concernent des pays d’une même région, ou des « pays amis » [1], lesquels privilégient le commerce entre eux. Cette évolution n’est pas étrangère à la crise à l’OMC, en raison du blocage de la nomination des membres de l’Organe d’appel, responsable du règlement des différends, par les États-Unis depuis 2016. 

Le deuxième signe est la montée des restrictions internationales. Une de ces montées concerne les restrictions aux importations de produits (tarifs douaniers, quotas d’importation, etc.), qui ont été multipliées par 10 en 12 ans. Dans le cas des produits de base mondiaux (agriculture, minerais, énergie), ce sont des restrictions à l’exportation qui occupent le devant de la scène. Et comme ces matières premières sont concentrées dans une poignée de pays [2], cela accroît les risques pour la sécurité alimentaire mondiale et la transition énergétique. En ce qui concerne les investissements étrangers, le nombre de restrictions à leur endroit a triplé depuis sept ans, cependant que les montants investis dans des « pays amis » sont 2,5 fois plus élevés que les sommes investies à l’échelle internationale, ce qui constitue un autre signe de la fragmentation.

La fragmentation découle aussi de la montée des tensions géopolitiques, lesquelles poussent des entreprises à rapatrier de nombreux maillons de leurs chaînes d’approvisionnement, ce qui explique en partie la baisse des échanges internationaux. Déjà en 2021, le quart des grandes entreprises avaient relocalisé une partie de leur chaîne de production dans leur région d’origine, ce qui représentait 20 % de leurs exportations.     

Le « trumpisme » s’inscrit dans cette ère de fragmentation mondiale. Trump lance d’abord une guerre commerciale, en imposant des tarifs douaniers tous azimuts. Ensuite il cherche à imposer des rapports de force en menaçant de conquérir des territoires pour leurs ressources ou leur influence stratégique. Cette entrée en scène des États-Unis n’a rien de rassurant dans un monde où les conflits géopolitiques s’intensifient. 

Enfin, la multiplication des regroupements de pays est une autre illustration de la fragmentation mondiale. Après la création du G7 en 1975, les pays riches ont cherché à rallier des économies émergentes [3] en créant le G20 en 1999. Dans le but de concurrencer le G7 et le G20, des pays émergents ont mis sur pied le BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) en 2009, lequel ne cesse de s’élargir pour devenir les BRICS+ (les quatre du BRIC, Arabie Saoudite, Émirats arabes unis, Égypte, Éthiopie, Indonésie et Iran), sans compter les 15 autres demandes d’adhésion en attente d’approbation. [4] Notons enfin que l’élargissement des BRICS conforte leur poids économique dans le monde, lequel dépasse le PIB en parité de pouvoir d’achat du G7 depuis 2016. 

Le « trumpisme » s’inscrit dans cette ère de fragmentation mondiale. Trump lance d’abord une guerre commerciale, en imposant des tarifs douaniers tous azimuts. Ensuite il cherche à imposer des rapports de force en menaçant de conquérir des territoires pour leurs ressources ou leur influence stratégique. Photo : Isabelle Padula

Les coûts de la fragmentation

La fragmentation de l’économie mondiale a un coût, celui de réduire la valeur potentielle de la production mondiale. Des études situent ce coût entre 1,5 % et 6,9 % du PIB mondial, [5] ce qui correspond à une perte de PIB entre 1 600 milliards de dollars (l’équivalent du PIB espagnol) à 7 400 milliards (l’équivalent du PIB de l’Allemagne et de la France). 

Que faire alors pour réduire les coûts de la fragmentation mondiale ? La solution passe par un renforcement de la coopération internationale. D’abord pour arriver à une entente sur la complémentarité des échanges commerciaux, ce qui implique une réforme en profondeur de l’OMC. Ensuite, pour éviter la propagation des conflits géopolitiques qui poussent les États à se refermer sur leur économie nationale. 

Pour terminer, n’oublions pas que la fragmentation mondiale a des conséquences importantes sur le niveau de vie de la population. Il suffit de se rappeler les perturbations des chaînes d’approvisionnement pendant la pandémie pour en comprendre la teneur : pénuries de produits essentiels, interruption de la production par manque de composantes, chômage et pressions inflationnistes. 

Notes
[1]  Terme utilisé par Janet Yellen, ancienne ministre des Finances des États-Unis, pour évoquer les pays ayant les mêmes valeurs.
[2] À titre d’exemple, les trois principaux fournisseurs de minerais réalisent environ 70 % de la production minière mondiale.
[3] Afrique du Sud, Arabie saoudite, Argentine, Brésil, Chine, Inde, Indonésie, Mexique, Russie, Turquie.
[4] Algérie, Bangladesh Biélorussie, Bolivie, Cuba, Honduras, Indonésie, Kazakhstan, Nigéria, Sénégal, Thaïlande, Venezuela, Vietnam
[5] Le dissensus de Washington : la doctrine du FMI face à la fragmentation, Le Grand Continent, mars 2023.

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