

Jeanne-Marie Rugira est directrice du Département de psychosociologie et travail social à l’Université du Québec à Rimouski. (Crédit photo : www.sspquebec.com)
Valérie Delage, novembre 2015
Quelle femme inspirante que Jeanne-Marie Rugira! Au dernier symposium de pédiatrie sociale en communauté, en septembre, elle a éclipsé le pourtant charismatique Dr Julien lors d’un tête-à-tête où elle a su rapidement séduire et toucher l’auditoire par sa grande intelligence du cœur et son humanisme.
Professeure en psychosociologie à l’Université du Québec à Rimouski, elle est arrivée du Rwanda en 1993 pour étudier dans ce Bas-du-Fleuve encore peu familier avec les immigrants. La guerre éclatant peu de temps après dans son pays origine, elle fait venir ses deux jeunes enfants au Québec. De passage cet été à l’émission animée par Boucar Diouf sur les ondes de Radio-Canada, elle raconte comment le clan était sécurisant dans son pays d’origine où la communauté au complet soutenait l’éducation des enfants. Or, désormais seule à Rimouski, elle panique un peu et se sent démunie en réalisant qu’elle ne parviendra jamais à offrir ce type de sécurité à ses enfants. Elle décide alors de reformer un clan en réunissant une douzaine d’ami.e.s qui vont s’organiser pour la soutenir dans l’éducation de ses enfants et lui offrir du répit afin de lui permettre de poursuivre ses études. Il parait que depuis ce temps, sa porte est toujours ouverte à quiconque ressent le besoin du réconfort de l’autre.
Il n’est pas rare d’entendre des gens de retour de missions de coopération internationale nous relater à quel point les gens qui n’ont aucune possession matérielle autre qu’un sourire de bonheur dessiné sur les lèvres ont l’air plus heureux que ceux vivant dans nos sociétés occidentales « riches ».
Comment expliquer un tel contraste? Selon Émile Durkheim, l’un des fondateurs de la sociologie moderne, pour qu’une société existe, il faut que ses membres éprouvent de la solidarité les uns envers les autres. Or, madame Rugira avance l’hypothèse que, outre les effets du néo-libéralisme qui pousse à l’individualisme, au Québec, avec la Révolution tranquille, on a peut-être un peu jeté le bébé avec l’eau du bain. Autrement dit, avec le rejet de la religion, on a aussi perdu de vue l’importance de « se relier » aux autres. Parallèlement, la prise en charge des services par l’État a contribué à un désengagement des communautés. En cette ère de mondialisation où le libre-échange se devrait avant tout d’être humain, comment reconstruire les liens propres à ressouder une communauté désormais si diversifiée?
Car ce lien social distendu laisse place aux prédicateurs de la peur de l’autre qui laissent entendre que c’est en s’enfermant et en se protégeant que l’on sera en sécurité. Méfiance envers les réfugiés, accumulation d’armes pour se protéger, adoption de lois qui briment nos libertés pour mieux surveiller les potentiels terroristes : autant de façons de continuer à détricoter ce lien.
Nous avons besoin des autres, c’est aussi simple que ça. La solidarité est non seulement essentielle à notre survie, elle est une source inestimable d’enrichissement personnel et collectif. Ouvrons nos portes, prenons le risque de grandir avec l’autre. Et gardons en tête ce proverbe africain énoncé par madame Rugira : « Là où il y a de l’harmonie, on peut coucher à cinq sur une peau de lièvre. »