Emmanuelle Dyotte offrait cet hiver son premier roman, Le marais, aux éditions La Mèche. Dans ce récit où s’entremêlent des souvenirs croisés, Dyotte nous livre une courte histoire de relations passionnelles et destructrices.
Souvenirs croisés
Une chorégraphe sans nom se remémore un musicien talentueux, tourmenté et excentrique. Désigné par l’initiale T, cet homme blessé et adoré léchait ses blessures grâce à l’alcool, à la drogue et à la promiscuité. La narratrice pense être la dernière femme à avoir partagé sa vie. Toutefois, aux funérailles de cet homme qu’elle a tant aimé, elle rencontre M. Cette dernière a pris soin de T durant les derniers mois avant sa mort, point culminant d’une relation intermittente qui s’est déroulée sur plusieurs périodes.
C’est en voulant faire une chorégraphie sur l’histoire de T que la narratrice imagine et recolle les fragments de souvenirs de cet homme et de sa dernière compagne. Au centre de ces réminiscences de ce que T et M ont partagé : les morts, les drogues, les femmes de T. On retrouve un homme dominé par son besoin de reconnaissance, un marginal qui s’agrippe à l’art comme à un moyen de survie.
Le drame réside pourtant dans le riche amour que se portent M et T, car leur relation les mène ultimement à l’autodestruction. M est pour T ce qu’elle veut, mais pas ce dont elle a besoin, et il en est de même pour T face à M.

Légende de la photo : Le marais, d’Emmanuelle Dyotte est publié aux éditions La Mèche. Photo : Alexis Lambert / © La Gazette de la Mauricie et des environs
Un marais en surface
Le marais m’a séduit dès les premières pages. Emmanuelle Dyotte y utilise une épigraphe de Milan Kundera en introduction de son œuvre. Ensuite, la présentation de T constitue un magnifique passage qui donne le ton : « L’homme des foules ne peut quitter les lieux publics puisqu’il n’a pas d’espace privé vers lequel revenir. Il est condamné à l’errance. »
C’est par la suite que les choses se corsent. Le livre est assez court mais beaucoup de choses s’y passent. Plusieurs épisodes ajouteraient de la profondeur aux personnages, mais l’autrice reste en surface : des expériences de deuil racontées sous divers angles, la racine du malheur située dans une difficile relation père-fils. Dyotte évoque ces thèmes universels sans les creuser suffisamment. Le fil d’Ariane, plus conceptuel que narratif, rend la compréhension ardue, laissant un sentiment de désorientation littéraire.
Dans le grand univers d’une littérature de marginaux, l’histoire de T et de M s’essouffle au fil des pages. Il y a toutefois quelque chose de touchant chez ces deux êtres blessés, incapables de panser leurs plaies, qui s’aiment à leurs dépens.
Dyotte sait faire valoir sa plume dans ce premier roman, tout en relevant son pari narratif. Dans l’épilogue, on constate que ce qu’elle veut démontrer se révèle bien exécuté. Le marais suscite cependant chez moi quelques réserves. En effet, Emmanuelle Dyotte a du potentiel, elle sait ce qu’est un bon roman. Toutefois, dans ce premier roman, il manque l’étincelle qui ferait sortir cette œuvre du lot. Le roman atteint sa cible, certes, mais en cours d’écriture, l’autrice semble l’avoir oubliée ; elle s’est perdue dans la narration éclatée de personnages introvertis. Le plus bel aspect du Marais consiste en la nostalgie : avec du recul, la souffrance devient ce qu’il y a de plus doux.