Réal Boisvert – Opinion – mars 2021
La langue française connaît depuis un certain un sérieux déclin, en particulier à Montréal et sur l’île de Laval. Quand c’est Mélany Joly qui l’admet, c’est que ça doit être vrai. Quand c’est le président et chef de direction du Conseil du patronat qui en convient, eh bien l’heure est grave. Lorsqu’un un professeur émérite comme Charles Castonguay le confirme avec force détails, la cause est entendue.
Tout ça est lié avant tout et en grande partie à la mollesse avec laquelle on traite le français dans nos politiques publiques. La loi 101, en l’état, est une politique qui a un bras attaché dans le dos, tout simplement parce qu’elle ne poursuit pas son œuvre jusqu’aux études collégiales. Sans dire avec Frédéric Lacroix qu’elle est un échec, il faut admettre que son œuvre est inachevée.
Le plus étonnant dans ce contexte, c’est de voir le gouvernement Legault dépenser des millions pour agrandir le Collège Dawson, faisant de ce Cégep anglophone le plus gros Cégep du Québec. Cherchez l’erreur. Et il y a pire encore si la chose est possible. Robert Laplante le directeur de l’Action nationale rappelait récemment dans Le Devoir que le Québec s’apprête à donner à l’Université McGill le site de l’hôpital Royal Victoria pour y construire un grand pôle en développement durable. Ce qui, selon lui, revient à signer l’arrêt de mort de l’UQAM qui ne pourra plus rivaliser encore bien longtemps avec la force centripète qu’exercent McGill et Concordia sur le bassin des étudiants francophones.
Aussi lamentable que nous semble la situation, le déclin du français au Québec n’est cependant pas une fatalité. Avec un peu de courage et de volonté politique, il est possible de redresser la barre. Et cela d’autant qu’il ne s’agit pas de réinventer la roue. La voie est toute tracée : on se crache dans les mains et on reprend la cognée là où Camille Laurin l’avait prise dans les années soixante-dix pour donner au français la place qui lui revient au sein du seul État francophone d’Amérique.
Le temps est donc venu d’adopter la version 2.0 de la loi 101. Rien ne change sur le fond, sauf les modalités d’applications de la loi qui doivent avoir le mordant nécessaire pour faire enfin du français la langue de l’État et de la Loi aussi bien que la langue normale et habituelle du travail, de l’enseignement, des communications, du commerce et des affaires. Ce faisant, nous nous retrouverons, comme cela doit être, aux commandes d’une locomotive entraînant dans son élan tout un train de mesures favorisant la réussite scolaire, encourageant la lecture et fouettant l’estime dont un peuple a besoin pour accomplir son potentiel de développement.
Ceci étant, une langue n’est jamais étrangère à l’état du paysage médiatique dans laquelle elle baigne. Considérons la télévision et la radio d’État seulement. Comment se fait-il qu’on ne compte à la télévision publique aucune émission consacrée à part entière aux livres, à l’histoire, au théâtre, à la poésie, à la science et aux humanités. Comment ne voit-on et n’entendons-nous pas plus souvent nos meilleurs esprits dans les aspects les plus variés. On répondra que la radio de Radio-Canada met à l’antenne l’émission Plus on est de fous plus on lit. Ça ne suffit pas parce que c’est une exception. On ne développe pas chez les jeunes auditeurs le goût de parfaire leur langue et le sentiment de la parler avec fierté dans un écosystème public où on n’y met pas le prix pour s’élever au-dessus de la mêlée.
On pourrait citer sur ce point le cas France culture. Il y a à cette antenne un nombre incalculable d’émissions [1] où sont invités, non pas pour un petit tour de piste mais pour aller au fond des choses, des experts en tous genres. On y retrouve notamment une émission comme « En français dans le texte » consacrée à un classique de la littérature dont un extrait de l’œuvre est lu par une comédienne ou un comédien, analysé et commenté par des professeurs et se terminant par une dictée proposée à l’antenne et sur les réseaux sociaux. On y entend des gens qui sont amoureux de leur langue ; qui prennent surtout plaisir à la parler. Ce qui arrive quand on en sait les nuances, quand on en comprend la portée, quand on voit jusqu’où elle peut nous mener.
En terminant, comment ne pas prêcher pour sa paroisse. Que ce soient à la Gazette de la Mauricie ou parmi les journaux communautaires regroupés au sein de l’AMECQ, les individus sont engagés dans ces médias parce qu’ils carburent à la participation citoyenne et à l’engagement bénévole. Ce sont des centaines et des centaines de personnes qui s’impliquent et se dévouent avec vaillance au service du bien commun et qui, comme de fait, le font au profit de la langue française. Avec les médias communautaires, le français se voit tiré vers le haut grâce aux forces vives du milieu, tout comme il est entraîné vers l’avant par le pouvoir et la volonté résolue de l’État.
[1] Par exemple la Grande librairie, les Chemins de la philosophie, la Conversation scientifique, les Cours du Collège de France, la Compagnie des œuvres