Crédit photo : UWE ARANAS

Depuis février 2022, la planète entière tourne son regard vers le conflit en Ukraine et ses conséquences politiques, économiques et sociales désastreuses. Ce drame ne devrait cependant pas détourner notre attention d’un autre lieu préoccupant qui possède un potentiel d’embrasement tout aussi intense : l’île de Taïwan.

Cette petite île du Pacifique, à l’est de la Chine, se trouve au cœur de mésententes entre Washington et Pékin depuis des décennies, a fortiori dans les dernières années. À titre d’exemple, à l’été 2022, quand Nancy Pelosi (alors présidente de la Chambre des représentants) a visité le parlement de Taipei (capitale de Taïwan), elle a déclenché une immense crise diplomatique. Ce qu’il faut savoir, c’est que Taïwan occupe un statut particulier depuis plus de sept décennies, et ce, en dépit du fait que la Chine souhaiterait se réapproprier son contrôle. En effet, à la naissance de la République populaire de Chine en octobre 1949 (contrôlée alors par Mao Zedong), le gouvernement déchu de Tchang-Kai-chek s’était réfugié sur l’île de Taïwan. Pendant les 22 années qui ont suivi, Taïwan constituait d’ailleurs le gouvernement chinois reconnu officiellement à l’Organisation des nations unies (ONU), entretenant des liens très étroits avec les États-Unis.

Les choses ont changé depuis et Taïwan n’est plus reconnue que par une poignée d’États (moins d’une quinzaine). Elle continue néanmoins de se développer à l’écart de la Chine continentale et de défendre un modèle de société plus démocratique. Le Canada et les États-Unis entretiennent toujours des liens extrêmement solides – bien que non officiels – avec cette « Chine démocratique », d’où les tensions avec Pékin. Taïwan symbolise une résistance forte à l’autoritarisme chinois, mais aussi un point d’achoppement des relations sino-américaines. D’un côté, Washington continue de clamer son intention de défendre Taïwan en cas d’une éventuelle invasion chinoise. D’un autre, il refuse de soutenir l’indépendance de l’île, tel que le rappelait le secrétaire d’État Anthony Blinken lors de son récent passage à Pékin (juin 2023). Position mitoyenne et prudente s’il en est une.

LE MYTHE DE L’AMÉRIQUE GARDIENNE DE LIBERTÉ
Pour rassurer la population taïwanaise de l’appui américain, il serait aisé d’adopter une vision du monde divisé entre les bons et les méchants à la George W. Bush et de percevoir les Américains comme les défenseurs du monde libre et démocratique marchant aux côtés de leurs alliés. Or, depuis quelques années, cette vision simpliste et manichéenne semble périmée. La crédibilité américaine à défendre des idéaux démocratiques en a d’abord pris un sacré coup après l’Afghanistan (2001-2021) et l’Irak (2003-2011). Elle s’est ensuite tout simplement liquéfiée après le passage de Donald Trump à la MaisonBlanche (2017-2021) et à la suite des assauts contre le Capitole (janvier 2022). Le mythe de l’Amérique gardienne de la liberté tombe maintenant en désuétude. Grande est désormais la tentation de questionner la fidélité de l’Oncle Sam
aux idéaux démocratiques.

Rien, donc, pour rassurer les Taïwanais, de plus en plus isolés. Ceux-ci représentent désormais les potentielles victimes de cette nouvelle phase de retrait que les États-Unis adoptent dans plusieurs régions du globe – phase isolationniste pourrait-on écrire – pour le meilleur ou pour le pire. Parallèlement, la Chine poursuit ses avancées. Sa « nouvelle route de la soie » (depuis 2013) a mené des entreprises chinoises
à construire des infrastructures d’importance et créer des partenariats avec plus de 125 pays. Cet essor politico- économique contribue à occulter le caractère autocratique du régime, les atteintes aux droits humains, ou encore l’interventionnisme dans les affaires de Hong Kong (2019-2020). C’est dans ce contexte que les tensions sino-taïwanaise s’exacerbent depuis 2016 : manœuvres militaires à proximité de l’île, boycott de produits taïwanais, déclarations belliqueuses. D’où le risque préoccupant d’embrasement.

Actuellement, l’Ukraine représente bel et bien la plus importante des préoccupations géopolitiques, car se joue sur ce terrain une certaine régénérescence de guerre froide entre les traditionnels adversaires qu’étaient l’URSS (maintenant Russie) et les États-Unis (ou plus largement l’OTAN). Cependant, la question taïwanaise inquiète. Dans un monde où la Chine souhaite devenir la principale puissance économique d’ici 2049, dans un monde où elle désire affirmer son influence, particulièrement sur le territoire sud-est asiatique, Taïwan constitue certainement l’un de ces lieux d’où pourrait provenir le brasier d’origine d’un conflit majeur.

 

Daniel Landry, collaborateur, Comité de solidarité de Trois-Rivières

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