La perte ou le gaspillage d’aliments représente 8 à 10 % des émissions totales de gaz à effet de serre de la planète. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement a calculé que si le gaspillage alimentaire était un pays, il serait le troisième pollueur au monde après les États-Unis et la Chine.
En cette première Semaine internationale d’action contre le gaspillage alimentaire, RECYC-QUÉBEC met en lumière le rôle important de la réduction de ce gaspillage dans la lutte contre les changements climatiques.
On estime que 63 % des résidus alimentaires jetés ou compostés par les citoyens canadiens à la maison auraient pu être consommés. Cela correspond à 2,2 millions de tonnes d’aliments et équivaut à près de 10 millions de tonnes d’émissions de CO2. C’est l’équivalent des émissions de gaz à effet de serre de 2,1 millions de voitures.
Un « petit geste » efficace
Puisque chaque tonne d’aliments gaspillés en moins correspond à retirer une voiture de la route chaque année, tenter de diminuer le gaspillage alimentaire à la maison constitue donc l’un des gestes du quotidien les plus significatifs pour le climat.
Encore faut-il en avoir conscience.
Le dernier Baromètre de l’action climatique a révélé que malgré leurs bonnes intentions, les Québécois et Québécoises connaissent mal les gestes à poser pour avoir un effet notable sur les émissions de gaz à effet de serre.
Les données présentées dans le Baromètre sont éloquentes : les participant.e.s sondé.e.s accordent à peu près la même importance climatique à l’action « atteindre l’objectif zéro gaspillage alimentaire » qu’à celle « d’acheter des produits en vrac plutôt qu’en portions individuelles ». Or, pour une famille moyenne, la première action évite l’émission annuelle de 1643 kg d’équivalent CO2, alors que la seconde représente seulement une baisse de 6 kg d’équivalent CO2 par année.
Selon le projet Drawdown, la réduction du gaspillage alimentaire se classe au 3e rang des 80 meilleures solutions pour éliminer le plus d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2050.
RECYC-QUÉBEC s’est joint à la campagne J’aime manger pas gaspiller du Conseil national zéro déchet pour sensibiliser la population à ce sujet. La plateforme présente des astuces pour mieux planifier ses repas, utiliser la nourriture de manière optimale et conserver plus longtemps les aliments.
Gaspillage de fonds publics
Les efforts individuels à la maison ne permettent toutefois pas de contrer l’ensemble du gaspillage alimentaire. Que l’on pense aux pertes dans les champs, lors du transport et de l’entreposage, aux invendus des supermarchés ou aux rejets des restaurants, tout au long de la chaîne d’approvisionnement, « de la fourche à la fourchette », nous jetons 58 % de la nourriture produite. En tout, 35,5 millions de tonnes d’aliments sont gaspillées chaque année au Canada.
L’impact économique de tout ce gaspillage n’est pas non plus à négliger. Il correspond, pour le Canada, à 17 milliards de dollars annuellement. « Collectivement, nous assumons ces pertes financières à travers les dépenses liées à la gestion des matières résiduelles et à travers les subventions gouvernementales accordées à l’industrie agroalimentaire », écrit Estelle Richard, dans son ouvrage Pour en finir avec le gaspillage alimentaire. « Investir dans une industrie qui gaspille est un non-sens auquel devraient s’attarder tous les gouvernements. »
« Investir dans une industrie qui gaspille est un non-sens auquel devraient s’attarder tous les gouvernements »
Estelle Richard, Pour en finir avec le gaspillage alimentaire
Changements structurels requis
Le consommateur est souvent pointé du doigt comme responsable du gaspillage alimentaire, mais les problèmes découlent plutôt d’un ensemble de facteurs systémiques, estime Éliane Brisebois, coordonnatrice de la chaire de recherche sur la transition écologique de l’Université du Québec à Montréal.
Dans une étude réalisée en 2018, madame Brisebois et son collègue René Audet ont étudié la question en détail. « La consommation commence au magasin, explique-t-elle, et les choix des commerçants influencent ceux des consommateurs. On dit par exemple que les standards esthétiques pour les fruits et légumes viennent de la demande des consommateurs, mais est-ce que c’est parce qu’on leur montre toujours des fruits et légumes parfaits qu’ils en demandent ? »
L’étude expose qu’au-delà des solutions techniques (comme des emballages pour prolonger la durée de vie des aliments) et des solutions de redistribution des surplus (via des banques alimentaires et des organismes de transformation), il faut d’abord reconnaître la responsabilité partagée de tous les acteurs du système alimentaire dans la lutte contre le gaspillage.
On pourra ensuite s’attaquer à redéfinir les critères privilégiés par les consommateurs, « tels que l’apparence des produits, leur nouveauté, leur variété, leur abondance », et promouvoir davantage l’évitement du gaspillage alimentaire en tant que critère socio-environnemental positif. Les institutions gouvernementales qui supervisent les systèmes de date de péremption devraient aussi être interpellées pour repenser leur fonctionnement. Nous devons aussi mener collectivement une « profonde réflexion » sur le statut de l’aliment dans la société, qui est perçu comme une simple marchandise alors qu’il a pourtant une dimension « matérielle, organique et vivante ».
« La transition socioécologique implique des changements de pratiques. Oui, tout le monde peut faire sa part, mais on a vraiment besoin de changements structurels si on veut des impacts majeurs », conclut Éliane Brisebois.